Ou peut-être hier. Peut-être. La lumière s’allume vivement, une voix forte quoique tremblante lui vrille les tympans. Cillian émerge lentement de son sommeil. Il ouvre un oeil, puis l’autre et remue dans son lit. Il se tourne et observe son père. Il lui demande ce qui ne va pas, mais Richard lui demande de s’habiller. Et vite. Ils n’ont pas de temps à perdre. L’enfant ne comprend pas et saisit les vêtements que son père lui balance. Il s’habille maladroitement, la tête encore dans le brouillard. Son père vient l’aider et d’une main brusque, il lui enfile son jean. Il prend brutalement la main de Cillian qui pousse un petit cri de douleur. Papa, il serre trop fort ma main. Il monte dans la voiture, les yeux encore alourdis de sommeil. Il demande à son père où il va. Ce dernier lui répond, avec un brin de peur dans la voix, voix tremblante, comme la flamme d’une bougie sous une brise légère. On va voir maman. Elle est à l’hôpital. Le gamin hoche la tête mais il ne comprend pas. Maman doit rentrer à la maison. Elle va bientôt arriver. Il ne comprend pas.
Lorsqu’il arrive à l’hôpital, son père lui lâche la main et accourt vers l’accueil. On le redirige vers l’accueil de l’unité de soins intensifs. Là-bas, Hartwood père et fils sont accueillis avec des mines sombres. Ça ne présage rien de bon. On les met dans une salle d’attente. Ils patientent, encore et encore. On vient apporter quelques jouets à Cillian qui, malgré la fatigue, reste bien éveillé. Son père tente de lire les magasines où des personnes affichent des sourires qui écorchent le militaire. Il a envie de les déchirer, de les brûler. Il les balance dédaigneusement sur la petite table. L’un d’eux glisse à terre ; il ne le ramasse pas. Cillian est assis à même le sol et s’amuse avec des petites voitures. Il confronte violemment deux voitures de police. La pièce est trop blanche, les éclairages trop vifs. Ils donnent mal à la tête. Les pensées de Richard sont un capharnaüm. Un noeud impossible à démêler, des pensées semblables à un champ de bataille. Il va exploser. Il fixe le mur immaculé. Son fils fait des bruits d’explosion avec sa bouche. Comme dans sa tête, comme dans sa tête.
Après un temps qui lui semble infini, un homme en uniforme gris, suivi d’une jeune femme entrent dans la pièce. Ils portent encore leurs calots. Richard se lève d’un bond, Cillian sursaute. L’homme en uniforme gris lance un court regard à la femme. Tous deux affichent une mine sombre. Le militaire sait. Il sait que sa femme a passé l’arme à gauche. Il sait qu’il ne la reverra plus, qu’elle ne s’allongera plus à ses côtés, le soir, dans le lit trop froid, qu’elle ne sera plus là pour les réconforter. Il croise les mains derrière sa tête et, fou de rage, contenant son désespoir et sa détresse, il se met à arpenter la pièce de long en large. Cillian lève la tête vers les médecins. Il leur demande si maman va bien, si elle va revenir pour son anniversaire. La jeune femme se gratte la nuque, visiblement mal à l’aise. L’uniforme gris se met à la hauteur de Cillian. Il lance un regard furtif au père qui continue de regarder le plafond tout en faisant encore les cent pas. On lui explique la situation. Bon, d’accord, maman a eu un accident de voiture, mais à l’hôpital, ils peuvent la guérir, non ? C’est papa qui a dit un jour qu’ils réparent toujours les gens. Mais l’uniforme gris lui dit qu’elle a perdu beaucoup de sang dans l’accident. Qu’ils ont tenté de la soigner du mieux qu’ils pouvaient. Mais ce n’était pas suffisant. Ta maman est partie. Le gamin est interloqué. Mais maman, elle va revenir ? Hein, elle va revenir.

C’était le quatorze septembre mille neuf cent quatre-vingt sept.
Le lendemain, Cillian prenait cinq ans.

EN CONSTRUCTION