Aujourd'hui ma psy m'a dit que j'avais fait un grand pas en avant, et elle m'a offert ce livre. Je dois écrire toutes mes pensées. C'est bizarre, de mettre tout ça noir sur blanc. Elle dit que ça peut m'aider à évacuer. Comment ressasser le passé ça peut m'aider à aller mieux? Moi j'y crois pas trop, mais elle dit que c'est bon pour moi, et que si je le fais, je pourrais sortir d'ici. J'aime pas les murs blancs et tristes de cet endroit, heureusement que les gens sont sympas avec moi. Enfin, je suis censée parler de ce qui m'est arrivé avant d'être ici, de dire à quel point mon papa a été méchant avec moi. Il état pas souvent content quand il rentrait à la maison tard le soir, je crois qu'il aimait pas beaucoup son boulot, il travaillait chez Macdo, et il me disait souvent "tu sais, les gens, ils nous prennent pour de la merde, parce qu'on est pas comme eux, on a pas l'argent nous, qu'ils aillent au diable". C'est vrai on avait pas beaucoup d'argent, alors on mangeait quand on pouvait. Mais lui, il en avait toujours pour aller boire un verre avec son copain Tony, et c'est après quand il rentrait, et qu'il sentait le whisky, qu'il était toujours de très mauvaise humeur. D'abord il m'insultait, parce qu'il était tard, et que j'étais toujours en train de regarder la télévision, et puis quand il voyait que la vaisselle était pas faite, là il s'énervait vraiment. Il me regardait avec ses petits yeux et ses pommettes rougies à cause de la boisson, et il me serrait très fort les deux bras, moi j'avais mal. Il me secouait, me soulevait, parfois quand il était vraiment dans une colère noire, il me frappait, une fois, mais seulement une, il avait expérimenté les brûlures de cigarette, j'en ai toujours la trace sur mes avants bras. Mais il n'avait jamais touché à mon visage, surement parce que je ressemblais trop à maman. Et ensuite, il se calmait, et il partait s'enfermer dans ma chambre, et moi dans la mienne. Et chaque matin, on faisait comme si rien ne s'était passé, malgré les bleus qui couvraient mon corps.

Heureusement que Mme Sheridan, ma prof a remarqué les traces anormales qui peuplaient mon corps. C'est elle qui a alerté le service de protection des mineurs de la ville, c'est elle qui venait et qui vient encore aujourd'hui me voir à l'hôpital, puis dans ce centre. Je l'aime beaucoup, et elle m'a même dit qu'après, quand j'irai mieux, je pourrais vivre avec elle. 

Aujourd'hui, ça fait deux ans que je vis chez les Sheridan, ils sont devenus ma famille, ils ont vite choisi de m'adopter. Mr Sheridan, grand avocat a vite trouvé et signé les papiers. Ils m'ont expliqué que j'étais comme tombée du ciel pour eux, que Mme Sheridan ne pouvait pas avoir d'enfant, et qu'ils cherchaient à en adopter un. C'est eux qui m'ont enseigné la tolérance, le respect, ils m'ont fait découvrir l'amour, la loyauté, le bonheur. J'imagine que si je ne les avais pas rencontré, je serai aujourd'hui rongée par le passé, accaparée par la vengeance. Mais non, ils m'ont permis de passer à autre chose, de voir que le monde n'était pas seulement fait de personnes comme mon père, au contraire. Tout comme ils m'ont aidé, je veux aider. 

Ce jour là, j'ai entendu du bruit, c'était bizarre parce que j'étais censée être seule, maman donnait cours, et papa était à son cabinet. Et pourtant, j'entendais des bruits de pas, dans la pièce d'à côté. J'ai enlevé mes chaussons pour ne pas faire de bruits, et je me suis dirigée vers la cuisine. Et c'est là que je l'ai vu, un adolescent, qui fouillait dans nos placards. « Et, qu'est ce que tu fais là? » J'avais limite crié, histoire de lui faire peur mais il s'était retourné, presque nonchalant, il m'avait regardé, mon père est rentré à ce moment. Je n'arrivais plus à détacher mon regard du sien. On pouvait voir sur son visage qu'il n'avait pas eu une enfance facile. Il me rappelait l'enfant que j'étais, avant. Mon père m'a demandé de sortir, je l'entendais réprimander le garçon, lui dire de s'en aller, moi il m'intriguait. Alors j'ai attendu qu'il sorte de la maison pour lui courir après. Je l'ai caché chez nous quand il m'a dit qu'il s'était enfuit de chez sa famille d'accueil. Mes parents s'en sont vite aperçu; moi qui ne mangeait pas beaucoup, du jour au lendemain j'emportais de la nourriture pour deux dans la chambre. Ils l'ont accepté, et comme moi j'étais devenue leur fille, ils en ont pris soin comme leur propre fils.

10 juillet 1994 

Je pleure comme une idiote depuis 10 minutes. Cela ne fait que 600 secondes qu'il est parti, et il me manque déjà. Encore une stupide connerie, et il me laisse là. Je ne sais même pas pour combien de temps, je ne sais pas où, mais dans l'armée. Je l'aime, je l'aimais, et je l'aimerais.  C'est comme si on m'avait puni moi aussi, il avait fait une erreur, mais j'en payais le prix aussi. On me retire mon premier amour, le seul, l'unique. S'il ne m'avait pas fait toutes ces promesses, je ne sais pas si je tiendrais debout encore aujourd'hui. On partira d'ici, on se mariera en Europe, on fondera une famille. On écrira notre propre histoire, on oubliera ensemble le passé, on tracera notre chemin. Je n'ai plus qu'à l'attendre, je sais que notre séparation n'est qu'éphémère, et que lorsqu'il reviendra, nous guérirons de nos blessures, ensemble. 

Un noël de plus, et pas une lettre, pas un appel. Il est parti, et il nous a oublié, pas même un adieu, ou des excuses. J'ai mal mais ainsi soit-il... c'est aujourd'hui que moi je te dis adieu Jay.

Aujourd'hui, Finn m'a enfin invité à dîner. Depuis le temps que je l'attendais. Le soir même, il est venu me chercher, et j'ai passé l'une des plus belles soirées de ma vie, on a passé la soirée à se dévorer du regard, on a parlé de ses deux enfants issus d'un précédent mariage, de son métier, de nos vies. Il était passionné par ce qu'il disait à en voir ses yeux brillants, moi je buvais ses paroles. J'admirais chacun de ses traits,  ses sourcils qui se fronçaient à chaque fois qu'il parlait de son patron, les commissures de ses frères qui remontaient légèrement lorsqu'il me parlait de ses dernières gaffes en tant que papa seul à la maison, comment il avait raté les pâtes inratables, comment il avait tenté de coudre un costume pour sa fille pour son spectacle de fin d'année... C'était la première fois après Jay, que je me sentais vraiment en osmose avec un homme. Je ne parlerais pas du reste de la soirée, mais j'en garde un très bon souvenir...

Comme tous les matins depuis notre mariage, Finn me dépose un baiser sur le front. Pourtant aujourd'hui, c'est un jour spécial, je pars pour l'Alabama, dans un camp militaire. Je dois réaliser un gros reportage sur la base de Redstone, pendant plusieurs mois je serais en totale immersion. Je ne suis jamais partie de chez moi, de Boston durant une aussi longue période. Heureusement que les portables existent... Mes valises sont prêtes, j'embrasse le fils et la fille de Finn, et il m'emmène à l'aéroport, bonjour l'Alabama.