Je t’aime. Mon dieu ça fait du bien de juste l’avoir dit, je me sens tellement mieux.

J'ai l'impression de l'avoir attendu toute ma vie. Et maintenant elle est juste devant moi. Cela semble absolument irréel. Et pourtant, elle porte cette magnifique robe blanche. Elle a un sourire radieux, comme si se dire oui rendait le monde encore plus beau. Elle rayonne. A présent, elle porte fièrement mon nom. Et je peux dire qu'elle est ma femme. Ma femme, la seule que j'aimerai toujours et que je désirerai toujours.
J'apprécie le sourire fier de mon père. Il lui parle avec sympathie. Preuve qu'il l'apprécie. Un élément qui prend toute son importance pour moi. Je n'aurais pas pu imaginer épouser une femme que mon père refuse. Je m'approche d'eux avec un large sourire. Je passe mon bras autour de hanches de ma femme. Son regard pour moi déborde d'amour. Dieu que je l'aime. « J'espère pouvoir bientôt avoir un petit enfant sur les genoux. ». J'offre un large sourire à mon père. C'est évidemment dans nos projets, construire une famille. En réalité, ça fait des mois qu'Elena et moi on en parle. Nous en parlions avant même d'avoir découvert le plaisir charnel. Mais, il était inconcevable pour nous de ne pas construire notre famille. D'autant plus qu'Elena n'a plus que son frère à qui elle ne parle plus vraiment. A vrai dire, je ne le connais même pas.
Auprès de mes parents et de mes sœurs, elle a trouvé une certaine forme de famille. Mais rien ne pourra remplacer le fait d'avoir la sienne. Alors on va construire cette famille tous les deux. Je suis confiant pour l'avenir. On a des rêves et des projets plein la tête. Je pourrais certes mourir à la prochaine mission mais ce n'est pas une chose à laquelle je pense. Elle non plus. On est heureux. Et je crois qu'à cet instant, on a oublié que la vie n'était pas que tendresse.

Tes fautes de fils sont mes défaillances de père.

Je me mets à hauteur de mon petit garçon. Je lui offre un beau sourire alors qu'il a cette moue boudeuse que je lui connais bien. Il ne veut pas me voir partir en mission. Pas encore. Et pourtant, il le faut. Et je sais ce qu'il ressent. Moi aussi j'ai admiré mon père. Moi aussi je l'ai vu comme un héros. J'ai toujours été fier qu'il soit militaire. Pour autant, le laisser s'envoler loin de moi a toujours été une épreuve. Je ne doute pas une seule seconde que ce soit aussi le cas pour Rohan. Il a les yeux de sa mère. Et tout comme elle, il retient ses larmes. « Rohan, écoute-moi. ». Il planta ses prunelles dans les miennes. Il a alors un air faussement sévère. Mais je ne perds pas ce sourire rassurant. « Je vais revenir très vite mais, en attendant, tu dois te montrer fort d'accord ? C'est toi l'homme de la maison quand je suis pas là et tu dois protéger les deux femmes de notre vie. ». Son regard se tourne vers sa maman et son ventre rond. Ça me déchire le cœur de laisser ma femme enceinte. Cela dit, je ne peux pas renoncer à cette mission. Je ne suis pas un simple fonctionnaire. J'ai un devoir envers ce peuple que j'aime et que je protège. « Mission accepté Soldat ? ». Je vois mon petit bout de tout juste huit ans me faire un salut militaire et sourire. « Mission accepté chef ! ». Je ris tout en ébouriffant ses cheveux. Je le prends dans mes bras. Chose qu'on ne fait pas en temps normal, parce que c'est un p'tit mec et qu'il veut agir comme un homme. Mais au moment des au revoir, on laisse ce pseudo principe de côté. Mon fils dans les bras, je pose une main sur le ventre de ma femme. Je dépose mes lèvres sur les siennes avec tendresse et amour. « Prends soin de vous trois. ». Ma femme, mon fils et ma future petite fille. J'espère revenir avant sa naissance. Je veux être aux côtés d'Elena. Mais rien n'est jamais certain avec l'armée.

Elle vole vers l’arc-en-ciel, vers la lumière de l’espoir.

Je me souviens parfaitement de ce jour où tout à basculé. Je m'en voudrai éternellement de ne pas avoir été là. Je n'ai jamais réussi à accepter ce qui a pu se passer. Nous étions à Hawaï. J'étais au bar avec Ashton, mon meilleur ami de toujours lorsque ma femme a appelé en pleurs. Ma femme qui surveillaient les enfants avec Moana. Ma femme qui était au téléphone quand les petits jouaient au foot. Quand Rohan a envoyé le ballon dans la piscine. Quand les enfants sont venus la chercher pour récupérer le ballon. Et quand l'alarme a sonné. Parce qu'Amanda n'avait qu'un an et qu'elle voulait ce ballon. Amanda voulait juste jouer. Elle était trop jeune pour savoir ce qu'elle faisait. Et son corps s'est rempli d'eau. Jusqu'à lui retirer la vie. Mon bébé est mort ce quinze septembre 2006. Je me souviens des larmes de Rohan. Je me souviens de ses questions. De ses « pourquoi ? » ou encore « C'est ma faute ? ». Je me souviens avoir commencé par hurler de douleur. Hurler ne pouvant plus entendre ses mots. Je me souviens des larmes sur les joues de mon fils. Et pourtant, j'ai commencé à lever la main sur lui. Comme pour faire taire ses questions, écho de ma conscience. Je crois que je ne pourrais jamais assez remercié Ashton d'être intervenu très rapidement. Ce soir là j'aurais pu perdre deux enfants. Et c'est peut-être un peu le cas. Depuis ce jour là, quelque chose s'est brisé. En moi. Entre Rohan et moi. En Elena. Entre Elena et moi. En Rohan. Nous n'étions plu que l'ombre d'un passé pourtant heureux.

Tout comme il y a deux versions à chaque histoire, il y a deux versions à chaque personne. Une version que nous révélons au monde et l’autre que nous gardons cachée...

Une famille brisée oui. Même si l'espoir de pouvoir à nouveau serrer ma femme dans mes bras était fort, rien n'y faisait. Je peinais à garder mon calme face à Rohan. Il ne faisait rien de mal. Il essayait de retrouver un équilibre. Chose qu'Elena et moi étions incapable de faire. J'aurais voulu d'autres enfants. J'aurais voulu honorer ma promesse. Et j'ai compris que ça serait impossible le jour où je l'ai retrouvé dans une marre de sang. La cuisine ressemblait à une scène de crime. Un crime contre elle-même. Elena, mon Elena a tenté de se suicider. Là, j'ai compris que rien ne soignerait son mal. Et certainement pas moi. Je faisais partie de son mal être. Alors je l'ai amené à l'hôpital. J'ai demandé à une amie de récupérer Rohan à l'école sans rien lui dire. J'ai rempli un formulaire pour faire interner ma femme. Je savais déjà que mon fils m'en voudrait. Mais je ne pouvais pas laisser Elena se détruire à la maison. Prendre le risque qu'il la voit ainsi. Rohan aime sa mère d'un amour inconditionnel. Il serait capable de s'en vouloir éternellement s'il savait. Alors même qu'il n'y est pour rien. Interner Elena n'a en rien été une décision facile. Mais la meilleure que je puisse prendre pour elle. Pour Rohan. Et ce même si à son réveil elle m'a supplié de ne pas lui faire ça. Son regard me brise encore l'âme plus que le cœur. Je me sens monstrueux. Un monstre avec les meilleurs intentions.

Il vient un moment dans chacune de nos vies, où le contrôle des évènements qui nous permet de rester raisonnable nous glisse entre les doigts.

Repartir en mission a fini par devenir un soulagement pour Rohan comme pour moi. Il sait que ma violence et mon penchant pour l'alcool sera loin. Je sais que je n'aurais pas à affronter mes fautes et son regard chaque jour. Je redoute le jour où il apprendra que j'ai demandé le divorce. Je ne l'ai pas fait par plaisir. Seulement pour libérer Elena. Lui donner une chance d'avoir une toute nouvelle vie. Avec un autre homme. Ce n'est en théorie pas ce que je dois souhaiter. Mais il ne reste plus rien d'un nous pluriel. Plus rien d'un nous singulier. Nous sommes détruit. Nous sommes chacun le fantôme de l'autre. Et d'après ses psys, elle ne va pas mieux. Elle n'ira pas mieux tant qu'elle sera prise par son ancienne vie. Alors je l'en délie. Mais, je ne veux pas avoir à expliquer cela à Rohan. Je ne veux pas revoir la colère dans son regard comme lorsque je lui ai dit que sa maman avait été interné. Demain je pars pour une longue mission. C'est un soulagement. C'est notre échappatoire. Notre seul moyen de survivre. Je voudrai pourtant réparer les choses avec Rohan. Mais j'ignore comment faire. Dans quel sens avancer. J'ai l'impression de ne rien connaître de lui. De ce qu'il ressent. De ce qu'il attend de moi. Je ne connais que sa provocation. Je ne connais que son regard accusateur.




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