✝ elle s'est accrochée à moi, comme un noyé à sa bouée.
J'enchainais les heures à l'hôpital où je résidais en tant qu'interne, et le temps me paraissait infini. Vingt-quatre heures ne suffisaient pas pour tout le travail à fournir en une journée, nous étions débordés. Je n'avais de cesse de courir dans un couloir, de hurler dans un autre, et de manquer de me vautrer dans le suivant. Je connaissais à présent les moindres recoins de ce qui était mon sanctuaire. Profitant d'un court répit, je m'interrogeais sur le nombre de kilomètres effectués chaque jour lorsque les portes d'entrées s'ouvrirent à la volée sur des pompiers et une victime. (et c'est reparti) Il était deux heures passées à ma montre lorsque je quittais l'établissement, m'enfonçant dans le froid glacial de l'hiver pour rejoindre mon domicile. Les mains enfoncées dans mon manteau, la tête emmitouflée dans mon écharpe, j'avançai d'un pas rapide, impatient. Je passais devant une ruelle où se réunissait musique, substances illicites (à vue d'nez) et à en croire les gémissements, des jeunes femmes. Ce manque de pudeur me répugnait, j'accélérais mon pas. (bande de dépravés) Quand, soudain, un hurlement retentit non loin de moi. Certain que ce dernier n'avait rien de sexuel, je guettais. Le hurlement reprit. Je ne désirais qu'une chose: rentrer chez moi. Mais mon sixième sens de médecin me cria qu'il y avait un problème, et qu'il ne voulait pas ça sur la conscience. (ok c'est bon, j'vais jeter un œil) Je m'enfonçais dans une nouvelle ruelle, aussi morbide et infestée que les autres quand des silhouettes m'apparurent au fond. Une, deux... Le petit tas par terre en compte pour une troisième? Au fur et à mesure que je m'approchais, les silhouettes se distinguaient, l'image s'améliorait. « Est-ce que tout va bien? » (question con) Mais qui eut son effet. Les deux types (dix-sept ans tout au plus?) sursautèrent, pris par surprise, et s'enfuir sans réfléchir. Eux, je m'en foutais. J'étais en revanche plus inquiet pour l'amas sanguinolent qui végétait par terre. Sans attendre j'appelais les urgences et, dans l'attente, pris soin d'elle comme je le pouvais. Quel âge elle avait cette gamine. Quinze ans à peine? Putain de jeunes cons. Je réduis ma chemise en lambeaux dans le but de lui faire des garrots. La perte de sang était importante, trop importante, et j'ignorais depuis combien de temps elle était dans cet état. Je n'avais de cesse de lui parler, de lui poser des questions, tenter de la réanimer, mais l'éclat se faisait de plus en plus faible. Son pouls diminuait un peu plus. « Reste avec moi gamine, allez. » Lorsque enfin l'alarme de délivrance retentit. En un rien de temps elle fut placée dans l'ambulance où je la rejoignais aussitôt. Je l'avais trouvée, c'était à moi de m'en occuper. Je m'en sentais responsable, et j'estimais ça normal. J'avais à présent cette crainte qu'elle ne s'en sorte pas, que rien de tout ceci n'ait été efficace. Que cette enfant dans la fleur de l'âge ne passe de l'autre côté. Quelle tragédie. Si je pouvais choper les deux salopards. Dépêches toi Sam, elle clapse la petite.

C'était un jour comme les autres, à l'hôpital. Je comptais les années qui me séparaient de ce diplôme tant attendu. Mais pour l'heure, je procédais aux visites et diagnostics quotidiens. Alors que je signais quelques papiers, une silhouette désormais bien connue se posa à mes côtés. « Bonjour, docteur. » Je souris tout en continuant ma paperasse, pris le temps, puis je posais mon regard sur elle. Elle était resplendissante. Rien à voir avec le presque cadavre de notre première rencontre qui remontait à... Trois ans déjà, ciel que le temps passe vite. Ce n'était pas la première fois que Briséïs (mon dieu quel prénom magnifique) me rendait visite à l'hôpital. Et à chaque fois c'était avec un plaisir sans cesse grandissant que l'on prenait un café durant ma pause. Je me souviens de cette nuit tragique lorsque je l'avais trouvée. Malgré mes nombreuses heures de garde et l'envie catégorique de mon supérieur de me renvoyer chez moi me reposer, il avait fait une concession. Je voulais assister l'opération, je voulais être au près d'elle. Je m'en sens comme responsable, vous comprenez? Et il avait compris. Je l'avais veillée toute la nuit, jusqu'à l'aube. Et les autres jours encore. Jusqu'à ce qu'elle soit complètement rétablie et apte à rentrer chez elle. Depuis ce jour, un lien certain s'était tissé entre nous, mais je n'arrivais pas à en définir l'exactitude. Compassion, reconnaissance? Familial, paternel, protection? J'étais encore dans le flou. Un café brûlant entre mes mains, je l'écoutais me raconter son train-train quotidien. Les cours, ses ami(e)s, mais nulle trace d'histoire sentimentale. « Et ton petit ami, alors? » Je la vis rougir et baisser les yeux. Charmante. Elle devait en faire rêver plus d'un à l'université. « Y en a pas. J'ai quelqu'un en tête bien sûr, mais je ne pense pas que ça soit réciproque. » Je venais de définir ce que je ressentais pour elle: tendresse. Elle était comme cette petite touche de lumière dans un monde gris, sa douceur était délicieuse. « Dis lui ce que tu ressens? Comment peux-tu savoir sans essayer. Fais-le. Sinon tu viendras m'ennuyer avec tes regrets de femme éplorée. » Elle me sourit, je lui souris. Rien de plus banal.

« Briséïs, s'il-te-plaît. » Putain que je me sentais mal. Dans le mauvais rôle. Mal choisi. J'étais bien loin de penser que la petite m'avait moi en tête. Moi. Quelle idée! Et alors qu'elle venait de suivre mes conseils à la lettre, je lui disais que c'était impossible. (t'as des conseils de merde toi aussi) Je venais de mettre un frein direct à sa déclaration, à son exposition ouverte et sans gêne de ses sentiments. J'avais mal de lui faire mal. Je m'en voulais, oui, je m'en voulais. Mais cet amour qu'elle disait ressentir pour moi n'était pas sain, mais malsain. Antonyme logique. Elle avait l'âge d'être ma petite sœur, et... Non, je n'étais pas prêt. Et surtout pas prêt à pourrir la vie de cette jeune femme avec mon train de vie et mon être, moi-même. Enfin, c'était compliqué, ou je me compliquais les choses, je ne savais pas. Mais ce dont j'étais sûr: c'est que je ne voulais pas. Je voulais son bonheur, je ne désirais que ça. Et j'étais certain qu'il n'était pas à mes côtés, surtout avec mon entrée dans l'armée qui approchait. « Pourquoi tu m'as sauvée cette nuit alors? » J'en perdais les mots. La question était tellement... Surprenante, inattendue. J'aurai du lui dire la vérité, que c'était là aussi mon rôle de médecin que de sauver les gens, et que continuer ma route tout en entendant ses hurlements n'aurait pas été humain. J'aurai du. Mais au lieu de ça j'ai gardé le silence, un silence tétanisé et possédé. A y réfléchir, il est vrai que je n'avais jamais passé autant de temps avec une femme que depuis qu'elle était entrée dans ma vie. Je n'avais jamais autant aimé, senti, ressenti, découvert qu'à ses côtés. La vie est cruelle parfois. Puis elle s'est avancée, m'a regardé un court moment. Ses yeux dans les miens, je m'y perdais, noyais, suffoquais. Puis avec une infinie tendresse elle a effleuré mes lèvres, les yeux fermés. Plus rien en moi ne répondait. Cerveau, âme, coeur, tout était paralysé. J'ignore encore ce qu'elle avait voulu me faire comprendre lors de son dernier regard avant de partir. Et j'en rêve encore, parfois. Souvent, même. Et j'aurai tout imaginé sauf son déplacement volontaire à Huntsville, juste à côté de la base où je travaille actuellement.