C'est bien connu: toutes les petites filles veulent épouser leur père et tous les garçons veulent devenir comme lui. J'admirais beaucoup mon père bien sûr,  il était un modèle, mais je n'envisageais pas de devenir comme lui. Je n'avais pas envie de devenir pilote de ligne, pas envie de courir le monde sans jamais vraiment me poser... Quelle ironie du sort!

Quoi qu'il en soit mon père a été une figure très influente dans ma vie. Pilote de ligne donc, mais aussi photographe amateur, il a eu une vie bien remplie et moi avec. À cause (ou grâce) à son travail, j'ai vécu un peu partout dans le monde, de notre bonne vieille Amérique à Tokyo en passant par l'Europe. Tout jeune, j'ai appris à parler plusieurs langues tout en apprenant qu'il valait mieux ne jamais m'attacher à quiconque. Ma mère était ma seule véritable amie et mon père était un héros que j'accueillais toujours à bras ouvert. Il me racontait ses voyages, des excursions pour les photos, tout. Je vivais à travers lui et à travers les livres qu'il me rapportait.

Une relation assez particulière donc, mais j'étais un enfant particulier. Constamment considéré comme un étranger, j'étais souvent la victime de mes camarades, l'enfant étrange et presque effrayant. J'ai grandi plus vite que les autres, aussi bien physiquement que mentalement. Souvent seul, toujours dans mon monde, j'étais une victime patiente et je ne m'en plaignais jamais. Je voulais juste sortir de là le plus vite possible, réussir mes études pour enfin pouvoir commencer à vivre mes propres aventures.

Conscient de ma situation et de mon envie d'aventure, mon père m'a offert un tas de belles opportunités: nous avons fait du saut en parachute ensemble, il m'a même financé une saison complète en Formule 3 (où je n'étais vraiment pas mauvais)! J'étais l'enfant roi, j'avais droit à tout même si je ne demandais jamais rien. Ma mère était plus effacée, elle était la voix de la sagesse, la seule à qui je parlais vraiment de mes angoisses d'enfant.

Car oui, j'étais en avance, déjà inquiet de mon avenir et de celui de ma famille. Quelle allait être notre prochaine destination? Parviendrais-je à m'adapter à l'école là-bas? Allais-je devenir le brillant avocat dont je rêvais? Où? Ma mère aimait rire de tout ça et elle m'appelait souvent "l'homme de la maison", plus sage que mon père et plus raisonné que n'importe quel enfant de mon âge. Cela faisait de moi un enfant timide et assez renfermé, finalement peu sociable... Mais avais-je le choix? Chaque jour, je rentrais à la maison en me demandant si j'allais dormir ici ou si un nouvel avion nous attendait, je ne devais pas m'attacher, je m'en suis rendu compte très vite et à mes dépends... Même si une amourette d'enfant détruite ne peut pas vraiment être considérée comme un traumatisme, c'est ce qui m'est arrivé et ça m'a servi de leçon.


Puis finalement, de retour en terre natale, j'arrive enfin à l'âge bénit d'entrer à l'université. La carrière d'avocat est toujours dans ma ligne de mire, mais les choses de compliquent grandement à la fin de ma première année: mon père meurt d'une crise cardiaque pendant une "permission" et laisse ma mère dans une situation financière assez particulière... Refusant de dépendre d'elle plus longtemps, je me suis décidé à abandonner ce rêve pour entrer dans la vie active.

Sans diplôme, mes choix sont assez limités et ma passion pour les sports extrêmes (et le danger) me pousse presque tout naturellement aux portes de l'armée... Sans compter que ce choix m'offre un défi de taille: franchir les échelons en commençant par le bas, faire mes preuves en commençant à zéro. Un peu au hasard, je me retrouve dans l'armée de terre où je commence donc en tant que simple petit soldat. Je n'y connais rien même si j'ai déjà pris quelques cours de tir avec mon père à l'époque...

Et finalement c'est une bénédiction: les études n'étaient pas faites pour moi, passer ma vie derrière un bureau n'est pas fait pour moi, il me faut de l'action, des risques, il faut que je bouge au risque de devenir complètement fou... Car oui, il m'est arrivé de frôler la crise d'hystérie sur mes copies, de faire des nuits blanches en étant incapable de comprendre un mot de ce que je lisais... J'ai fini mon année en étant premier de ma promotion, mais mes nerfs ne sont pas passés loin de l'effondrement et moi avec.


Mais avant de prendre cette grande décision -et aussi parce que le décès de mon père ne m'avait pas laissé indifférent, j'ai décidé de partir à l'aventure... J'ai vendu l'appartement que mon père m'avait offert près de l'université, j'ai vendu ma voiture et j'ai pris le premier avion pour l'Australie avec mon sac à dos. Ma mère avait de quoi survire seule pendant un an et elle avait décidé de s'installer chez sa sœur (récemment divorcée) quelques temps afin de reprendre pied; elle n'avait pas besoin de moi, il nous fallait du temps.

Une fois à l'autre bout du monde, j'entrepris de faire le tour des fermes afin de financer le gîte et le couvert. Et j'y mettais du cœur à l'ouvrage, devenant rapidement un fermier efficace et surtout beaucoup plus musclé que je ne l'étais déjà. Les trajets d'une ferme à l'autre se faisaient en stop et j'y allais au culot, frappant aux portes pour demander s'ils avaient besoin de main d'œuvre. La réponse était presque toujours oui, même quand ma transformation en ours fut terminée: barbe épaisse, cheveux longs et carrure d'armoire à glace...

J'étais presque fier de ce look durement acquis suite à des heures de travail acharné. Là j'étais utile, là j'étais en action, là je pouvais être dans mon monde. Et c'est une rencontre fortuite avec un certain Allan Cage qui finit de me pousser vers l'armée. Il était un militaire en permission, sa femme et son beau-frère tenaient la ferme où je travaillais et, un soir autour d'une bonne bière, il me conta ses exploits. Ce n'était pas la vie pépère de l'avocat, mais ce n'était pas non plus la vie étrange du pilote aérien, c'était un autre monde plein de danger dans lequel on travaillait en équipe pour le bien de tous. On était utile, on ne faisait jamais deux fois la même chose ou presque... La vie rêvée finalement, un travail qui n'attendait plus que moi.


Un an plus tard, à mon retour, j'entrais donc dans l'armée de terre. Ma mère était toujours chez sa sœur, mais elle allait beaucoup mieux et elle fut soulagée que j'ai enfin trouvé ma voie même si elle aurait préféré me voir avocat. J'étais encore jeune à l'époque, à peine vingt ans, mais j'étais certain du chemin à prendre, convaincue que rien d'autre ne pouvait mieux me convenir.

Rapidement, je me suis fait une place dans ma faction, j'étais jeune mais atrocement motivé. Je touchais à tout, je voulais savoir tout faire; du permis tank à la construction des missiles... Comme j'étais un jeune homme ouvert et sympathique, on me laissait voir, on m'expliquait et je me suis plus facilement fait des amis dans mes aînés que dans les gens de mon âges. Une vieille habitude tenace qui a heureusement finit par s'estomper un peu avec le temps, sûrement parce que les gens de mon âge sont aussi devenus plus vieux...

Mais tout cela ne faisait pas de moi un garçon aigri! Je travaillais beaucoup sans pour autant rater une occasion de m'amuser autour d'un verre avec "mes gars". Une famille, c'est ça qu'on gagnait en entrant dans l'armée et j'en avais bien besoin depuis la disparition de mon père.

L'enfant timide, étrange et rejeté s'était transformé en soldat baraqué, timide, étrange et accepté, un grand pas pour moi et ma santé mentale. Étrange car je n'en restais pas moins un lecteur avide, toujours un peu rêveur et romantique, moins bourru que les autres, plus civilisé même parfois... Il n'était pas rare qu'on me demande ce que je faisais là avant de me voir sur le terrain, j'étais parfaitement capable de passer de l'agneau au loup en un quart de seconde tout en gardant un self-control à en faire pâlir plus d'un. Fait pour ça sans pour autant l'avoir gravé sur mon front, ce n'est pas donné à tout le monde.


Et c'est peut-être pour ça, parce que ce n'était pas gravé sur mon front, que j'ai rencontré la femme de ma vie. Jeune, magnifique et au caractère de feu... Une perle rare que je n'aurais jamais osé approcher, il faut bien l'avouer.

« T'es un grand malade tu le sais ça? »

Nous étions au Stone Red Bar, une bière à la main et mon regard n'avait pas quitté la belle blonde en robe rouge... Je n'étais pas un mort de faim, loin sans faut, mais cette fois ce n'était pas pareil: je ne pouvais pas me contrôler... Je mourais d'envie de lui parler, mais je n'avais aucune idée de comment faire au juste... Je ne draguais pas en principe, elles étaient attirées comme des mouches par l'uniforme... Pas très glorieux, mais je n'en profitais pas autant que les autres.

« Qu'est ce que j'ai fait encore? »

Répondis-je sans la quitter des yeux, un étrange sourire flottant sur mes lèvres.

« Cette fille c'est la sœur de Jack Fenton-Rhodes... La légende dit que le premier qui la touche se retrouve pratiquement tout de suite pendu par les c*uilles dans la forêt.... »

J'éclate alors de rire. Nous étions toujours pleins de légendes, de mythes idiots, je n'y ai jamais cru et ce n'est sûrement pas cette histoire qui allait me faire changer d'avis!

« Toi, tu as laissé ta bière sans surveillance trop longtemps! »

Plaisantais-je alors qu'elle s'approchait de nous dangereusement. Elle et un autre collègue qui avait disparu pendant quelques longues minutes... Mais il ne manqua pas de remarquer mon étrange attitude; Il faut dire aussi que je ne regarde jamais vraiment les femmes, surtout dans ce genre d'endroit... Mon premier camarade profita de la situation pour faire une pause toilette en me glissant un « bon courage! » amusé.

« A ta place, je n'essaierais même pas. »

Dit mon nouvel interlocuteur tout en commandant une autre bière d'un simple geste.

« Et pourquoi ça ? »

Répondis-je, feintant l'ignorance et attendant avec impatience une autre version de cette belle histoire.

« Laisse tomber je te dis. Avec toutes les jolies filles dans le coin, tu vas bien en trouver une autre à ton goût ! »

« Et si je n'en ai pas envie ? »

Je n'avais pas remarqué qu'elle était à portée d'oreille et j'avais presque dit ça sur le ton du défi alors que ce n'était pas mon genre, pas pour une femme... Mon corps se raidit tout entier quand sa voix se fit entendre. Je savais déjà que j'étais un boulet, mais à ce point c'était nouveau! Tentant de garder ma contenance, je tourne alors la tête vers elle avec un sourire. Je suis très mal à l'aise, si bien que je ne peux pas soutenir son regard très longtemps.

Suite à la remarque de la jeune femme, un étrange silence s'est installé dans notre trio. Mon camarade, doté d'un instinct de survie que je ne lui aurais jamais soupçonné, me fait du coude dans l'espoir que j'accepte de quitter mon siège. Impossible, et ce pour deux raisons: la première est que j'ai envie d'entendre sa voix une nouvelle fois, la seconde est que je ne suis pas vraiment apte à quitter mon tabouret sans faire de faux pas... Pathétique oui.

« Bon, franchement, si tu veux m'offrir un verre, offre moi un verre. Sinon ramasse ton pote et dégagez de mon espace personnel. »

C'est elle qui avait brisé le silence, d'une façon bien plus provocante que je ne l'aurais imaginé d'ailleurs... Pourtant je sentais que ça ne collait pas totalement au personnage, qu'elle n'était pas ce genre de femme... Bryan s'était rapproché légèrement de mon oreille et je l'entendais me mitrailler de « non » pas vraiment très discrets... Toujours mal à l'aise, je me décidais quand même à lui offrir un verre, trop heureux que ce soit elle qui m'offre l'opportunité. Cette réponse sonna le glas des nerfs de mon camarade qui fit mine de s'arracher les cheveux avant de disparaître, m'abandonnant à mon triste sort...

Silencieux, je la laissais siroter sa Margarita en silence, buvant quelques gorgées de ma bière en espérant que cela me détende un peu... Et ça ne marchait pas du tout!

« Et sinon gueule d'ange, t'as un prénom quand même ? »

Le liquide frais manqua de m'étouffer: gueule d'ange? Moi? C'était bien la première fois qu'on me la sortait celle la! Néanmoins, sont culot me fit rire et me "décoinça" un peu.

« Vous m'en avez fait oublier toute politesse! Je m'appelle Gabriel, enchanté. »

Ce n'est qu'en voyant son air un peu surpris que je réalisais la drôlerie de la chose: Oui, un gars à l'allure d'ange qui s'appelle Gabriel... J'espère juste qu'elle ne va pas croire que je me fiche d'elle! Comme elle ne semblait pas le prendre mal, j'en déduis qu'elle m'avait cru ou qu'elle aimait simplement l'idée que je puisse m'appeler comme ça. Tant mieux!

Le reste de la soirée fut un peu plus agréable pour moi. À mesure des verres et des blagues décalée de la jeune femme, j'allais mieux. Nous avions un peu le même humour idiot, la même vision des choses... Je ne regrettais rien.

Pas même de l'avoir docilement suivi jusque chez elle pour y passer la nuit...


L'avantage (ou l'inconvénient) de l'armée, c'est que ça vous apprend à vous lever tôt quel que soit l'heure à laquelle vous vous êtes couché. Par conséquent, même si nous avions très peu dormi, j'étais réveillé à cinq heures tapantes.

C'était étrange de ne pas se réveiller dans son petit lit à la base, étrange de ne pas se réveiller seul. Ça m'était déjà arrivé pourtant, mais en général je le regrettais amèrement, n'aimant guère profiter de la faiblesse de certaines femmes (ou de leur taux d'alcool)... Seulement ce n'était pas le cas cette fois, Kitty tenait très bien l'alcool et elle était parfaitement consciente du "risque" qu'elle prenait en me ramenant chez elle. J'étais d'ailleurs un peu mal à l'aise, ne sachant pas trop si elle voulait que je lui saute dessus ou si elle préférait s'en charger. La réponse m'est arrivée dessus dès que la porte fut fermée: c'est elle qui m'a sauté dessus et je ne m'en suis absolument pas plains!

La nuit a été mouvementée -dans le bon sens du terme, si bien que je n'ai pas eu le cœur de disparaître sans rien dire... Il faut dire aussi que Kitty n'était pas n'importe quelle femme à mes yeux, je ne sais pas comment l'expliquer mais j'avais l'improbable sensation qu'elle était la bonne, celle que j'attendais depuis toujours... Aucune autre femme ne m'avait fait cet effet là avant et le fait que cette sensation reste ancrée en moi alors que mon taux d'alcoolémie était retombé à zéro en disait long... Je devais nous laisser une chance, je devais rester.

Mais j'avais aussi envie de lui faire plaisir, décidant de sortir pour lui ramener un bon petit déjeuner. Romantique? Non, jamais! Ce à quoi je n'avais pas pensé c'est qu'elle risquait de se réveiller et de penser que je n'étais qu'un salopard... Mieux valait prendre un très grand café et un peu de tout histoire de compenser...

Quand j'entrais de nouveau dans la chambre, elle se réveillait à peine, vraisemblablement assez surprise de ma surprise. Le petit-déjeuner eu le temps de refroidir, puis quand il fut avalé (bien plus tard), je du repartir au travail avec en cadeau son numéro de téléphone.

Il me fallut quelques jours pour la rappeler, je ne voulais pas paraître trop... Collant. Et il me semblait qu'un dîner serait le bienvenue même si c'était un peu... "Tard" maintenant. Heureusement, Kitty accepta et ce dîner fut le premier d'une longue série et je finis par passer presque toutes mes nuits chez elle.

Tout semblait si naturel entre nous, comme si nous nous connaissions depuis toujours... Le bonheur, tout simplement. Son frère n'était pas très heureux de la voir avec un militaire mais nous faisions avec. Je n'avais rien contre Jack pourtant... Mais ma présence semblait lui donner de l'urticaire! Alors, je l'évitais, faisant en sorte que Kitty puisse quand même passer tout le temps qu'elle voulait avec lui.

Rapidement, nous commencions à parler mariage et famille. J'avais envie de faire tout ça avec elle, j'avais confiance en l'avenir avec elle... C'était la première fois de ma vie, c'était étrange, mais j'étais plus heureux que jamais et j'avais l'intention que cela dure, quel qu'en soit le prix.


« On se casse!! On se casse!! Go go go!! »

Bryan était là, lui et d'autres hommes. Nous étions en Irak, une mission tout ce qu'il y a de plus classique, de la reconnaissance, rien de dangereux sur le papier... Mais c'était sans compter sur cette fichue attaque terroriste, des gars armés jusqu'aux dents qui avaient surgit de nulle part... Nous étions à découvert, ils étaient plus nombreux que nous, plus armés et ils bénéficiaient de l'effet de surprise... Nous avons fait de notre mieux, nous avons tenté de fuir, mais le destin en avait décidé autrement...

Une balle traverse ma cuisse de part et d'autres alors que nous tentons de trouver une planque. Deux hommes sont déjà à terre, morts. Nous n'avons vu nos ennemies qu'un quart de seconde avant qu'ils ne disparaissent derrière des ruines qu'ils connaissent sans doute comme leur poche... Nos chances de survie sont minime, la mienne vient de tomber à zéro...

« Accroche toi mec! »

Bryan est là, se faufilant à travers les balles avec une habileté surhumaine. Pas le temps de négocier, je m'accroche à lui et tente de marcher à ses côtes. Les terroristes semblent jouer avec nous, ils auraient mille fois eu le temps de nous tuer... À moins ce que les autres survivants n'est fait un miracle?

Soudain je sens un étrange liquide sur ma joue... Du sang, celui de Bryan, ces enfoirés l'ont eu droit dans la tête... Sont corps tombe comme une masse et je ne peux que le suivre... Paralysé par la douleur et par le corps sans vie de mon camarade, je ne peux qu'attendre qu'ils m'achèvent dans l'espoir qu'ils fassent ça vite...

J'aurai dû offrir la bague à Kitty avant de partir, j'aurai dû faire un testament comme on m'avait dit de le faire... Je sombre dans le coma, laissant croire à nos bourreaux que leur travail est fait...

Ce qui s'est passé ensuite? Aucune idée, je ne sais pas qui nous a récupéré, je ne sais pas comment ni depuis quand... Tout ce que je sais, c'est que je me suis réveillé en sursaut sur un lit d'hôpital, dans notre base en Irak. J'étais branché à plein de trucs bizarres que j'ai immédiatement tenté d'arracher... Mauvaise idée.

D'après les médecins (j'ai d'ailleurs eu l'impression qu'ils s'étaient téléportés dans la chambre tant ils sont arrivés vite), j'étais le seul survivant de l'attaque. Mon état n'était pas grave mais je risquais d'être coincé ici encore quelques jours... Ils m'ont aussi posé des questions idiotes avant de me balancer une lumière éblouissante dans la figure. Je risque le choc post-traumatique mais je n'aurai pas de séquelles physiques, ou du moins pas pour l'instant...

Enfin c'est ce qu'ils disent: je sens mon cœur battre à cent à l'heure en permanence, mes oreilles sifflent à cause des balles qui sont passées trop près, et je revois des images de la scène dès que je ferme les yeux.

« Je veux parler à Kitty. »

Et la seule chose que je suis arrivé à dire clairement, je leur ai dit cent fois, à chaque fois qu'ils me posaient une question, je voulais parler à Kitty mais ils pensaient que ce n'était pas une bonne idée si peu de temps après le choc... Quelle bande de c*ns... Après maintes tentatives, je parvins enfin à avoir gain de cause, tout ça pour simplement lui dire qu'elle ne devait pas s'inquiéter, que j'allais bien et que je rentrai bientôt... Bientôt et pour toujours.

Les hommes qui sont morts ce jour-là étaient sous mon commandement, ils étaient mes amis, mes frères et je les avais laissés mourir sous le feu ennemi, mourir comme des chiens dans le désert... C'est dès ce moment-là que les crises d'angoisse ont commencé, sur ce lit d'hôpital miteux... Des larmes, des cris, des coups... Puis la sensation qu'on nous écrase, l'impression de ne plus pouvoir respirer, l'impression de mourir sans y arriver... Je me sentais coupable, incapable, minable, j'avais envie de mourir à chaque seconde...

Un psy est venu me voir, avec ses belles paroles et ces beaux cachetons colorés... Mais je mérite cette souffrance et rien ne pourra m'en séparer... Des bonimenteurs, voilà ce qu'ils sont tous, des charlatans! Enragé, je reprenais l'avion pour la maison des semaines plus tard, à jamais transformé...


Vous savez le pire? C'est quand vous avez conscience d'être différent, conscience de ce que vous ne pouviez pas vous battre. À mon retour en Amérique, je suis devenu quelqu'un de plus sombre, dépressif, agressif même... J'espérais que Kitty pourrais me faire aller mieux, mais ce n'était pas le cas, personne ne pouvait me faire aller mieux. Chaque fois que je fermais les yeux, je voyais la mort, le sang de Bryan sur mon visage... J'entendais le bruit de leurs mitrailleuses et c'était encore pire les soirs d'orage.

Les docteurs avaient dit que les choses allaient s'arranger avec le temps, mais ce n'était pas vrai, c'était même pire: moins je dormais plus j'étais sur les nerfs, plus j'étais sur les nerfs plus j'étais en colère contre ce nouveau moi que je ne reconnaissais pas. J'avais l'impression d'être schizophrène et, pour des raisons qui me dépassent, je refusais de consulter un spécialiste, trop convaincu qu'il ne pouvait que me droguer... Je voulais me battre avec mes propres moyens, m'en sortir, mais je ne savais pas comment...

Les premiers jours, je restais isoler à la maison, souvent dehors car être en intérieur me rendait claustrophobe... Les nuits étaient difficiles et je m'en voulais de faire subir ça à Kitty, elle n'avait rien demandé, elle ne savait pas mieux gérer ça que moi...

Et pourtant sa présence était vitale et je le savais... Je n'avais plus qu'elle, elle était mon seul rayon de soleil, mon seul moyen de survie, un peu trop précieuse sans doute, beaucoup trop de pression...


Je me déteste, j'aimerais mettre fin à tout ça, arrêter de la faire souffrir et de souffrir moi-même. Les choses se sont encore dégradées: je suis devenu jaloux, possessif, potentiellement agressif... Méconnaissable, même pour moi...

Dès que Kitty s'éloigne de trop, je deviens plus fou encore, je ne supporte plus d'être seul, plus une seconde, c'est trop difficile.... Mais c'est encore pire pour elle... Pourquoi je la traite comme ça?! Comment puis-je me le permettre? Elle qui fait tant pour moi! Elle qui représente tant pour moi! Je ne me contrôle pas, je n'y peux rien, je regrette chacun de mes mots, chacun de mes gestes... Jamais je n'ai levé la main sur elle, dieu merci, mais les mots sont souvent bien plus violents...

Un monstre, je suis devenu un monstre inhumain et mes c*nneries l'ont fait fuir... J'ai mérité la baffe qu'elle m'a donné avant de repartir chez son frère... Je ne suis qu'un c*n, je ne peux pas vivre sans elle mais je ne peux pas non plus mettre fin à mes jours, je ne peux pas lui faire ça...

Il faut que je me reprenne, que je sorte de cette impasse et ce quel qu'en soit le prix... Je dois retrouver Kitty, j'ai toujours la bague que je voulais lui offrir, je ne perds pas espoir de lui offrir un jour... Psychologues, médicaments, je dois m'y faire, je dois franchir ce cap...

Seul chez nous, je me sens mourir... Mais quand on touche le fond on ne peut plus que remonter, je dois remonter...