J'étais assise mais je voulais m'enfuir, je ne voulais pas entendre ce qu'il s'apprêtait à me dire. Je n'étais pas prête. Je ne savais que trop bien ce qui allait sortir de sa bouche, son discours était rodé, assuré et il se montrerait calme et positif, comme à chaque fois. Oui, à chaque fois qu'il doit annoncer cette terrible nouvelle. Je ne suis pas idiote, quelque chose ne va pas chez moi et je n'ai juste pas envie d'y apposer une étiquette. Je ne veux pas que les regards changent à mon égard, je ne veux pas qu'on ait pitié de moi lorsqu'on évoque mon nom ou lorsque l'on me croise dans la rue, je veux juste vivre ma vie telle que je l'avais planifiée. Aller à Cambridge, devenir avocate, juste réussir. Et puis au lieu de ça, la bombe. « Mademoiselle Fawkes, vous avez un cancer. » Je reste figée quelques secondes, la réaction typique lorsqu'une personne apprend qu'elle est atteinte d'un cancer. En général le malade se retourne vers la personne qui l'accompagne, recherchant un minimum de soutien mais moi, moi je suis seule aujourd'hui. Seule, assise dans ce cabinet d'oncologie déprimant, pas même mes parents ne sont là, encore moins Reed, cet éternel insouciant. Je ne peux pas les blâmer de toute manière, je ne leur ai pas vraiment parlé du rendez-vous chez l'oncologue ni de mes soudaines et violentes crises d'épilepsies. Je me rends alors compte que je suis en train de me laisser aller, que je deviens pessimiste et que je laisse par définition cette chose en moi l'emporter. Mais ce n'est pas moi, non je ne laisserais pas ce truc bousiller ma vie, qui du haut de ma dix-huit ans n'a même pas encore commencé. Mon médecin est alors en plein discours rassurant et compréhensif tandis que mes pensées s'agitent, je le coupe, plus déterminée que jamais. « Comment est-ce que je me débarrasse de ce truc ?!? »Je ne comptais pas laisser ce cancer au nom farfelu l'emporter, loin de là, et c'est ainsi que la semaine d'après je commençais un traitement considéré comme agressif. Une chose était sûre, j'allais me battre.  

Bristol, Juillet 2003

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Dix années ont passé et je suis désormais loin d'être cette adolescente pleine de rêves, d'ambitions et de caractère que j'ai été. J'ai connu des hauts, grâce à de nombreux voyages passionnants, un travail toujours intéressant et des histoires, autant d'amitié que d'amour, qui n'ont jamais cessé de me soutenir et de m'étonner au fil du temps. Il y a aussi eu de nombreux bas, des moments où j'étais incapable de me lever, où la dépression me guettait, renforcé par le fait que j'ai abandonné ma vie à Bristol parce que je ne pouvais pas supporter le fait qu'ils me voient souffrir constamment. Je vivais dans une peur constante et je n'avais pas voulu leur infliger cette même angoisse, ni cette même douleur. Reed méritait d'être heureux et de réaliser ce qu'il se devait d'accomplir, mes parents méritaient d'être heureux et mon cancer n'allait en rien les empêcher de vivre.
Dix ans plus tard, oui je suis toujours en vie et c'est considéré comme un exploit par le corps médical. Je suis actuellement en rémission - ce n'est pas la première fois d'ailleurs - et c'est grâce à un traitement expérimental qui se déroule exclusivement aux Etats-Unis. Durant tout ce temps je n'ai jamais abandonné, je me suis battue sans cesse et c'est ce qui fait de moi une journaliste aujourd'hui ; je tiens un petit blog qui parle de mon expérience face au cancer depuis le premier jour. C'est ce site internet, au départ réservé à des personnes dans une situation semblable à la mienne, qui m'a permis de me faire connaître et m'a ouvert un tas d'opportunités, c'est notamment grâce à ça que j'écris des articles pour divers magazines.
On peut alors se demander comment j'ai bien pu atterrir à Redstone ? La réponse est simple ; mon fiancé, un militaire qui me soutient depuis presque deux années et qui a été assez dingue pour me demander d'emménager ici avec lui.