« J’aimerais qu’on tente le coup. Je pense qu’on mérite que je nous laisse une chance, qu’on se laisse une chance. » Elle leva sa main gauche avec un léger sourire aux lèvres pour qu’il voit qu’elle ne possédait plus son alliance. Elle avait demandé le divorce. Elle quittait son ancienne vie pour se lancer dans une aventure digne des scénarii les plus dingues. « Je suis une femme libre. Divorcée et disponible. » Elle plongea son regard dans celui de Marius avant de porter une main contre sa joue. Elle l’aimait. Lui, l’adolescent, l’étudiant, son cadet. Elle l’aimait et ne voulait plus aucun obstacle sur leur chemin.

***
Toilettes de leur maison. Elle se redressait, remontait sa culotte et posa le test de grossesse contre le lavabo. Face à son reflet dans le miroir, elle en avait marre de ces essais, de ces tentatives qui n’aboutissaient presque jamais à quelque chose. Elle n’était plus une femme : incapable de le rendre père, incapable d’être mère. Quelque chose était en train de pourrir en elle : sa féminité. Elle n’était même plus une femme. Passant une main sur son visage, elle regarda le test : POSITIF. Elle était enceinte … mais la réjouissance de cette grossesse ne dura pas bien longtemps puisque quelques mois plus tard, elle se retrouvait à l’hôpital. Urgences gynécologiques. Pour une énième fausse couche. Encore. Le reflet du miroir lui annonçait qu’elle ne pourrait plus être mère : elle n’était même plus une femme.

« Je suis désolée. » souffla-t-elle à Marius sur le lit de l’hôpital quand il apprit pour la fausse couche. Encore.

***

Si les retours de Marius avaient longtemps été espérés et attendu par Jules, aujourd’hui ils étaient craints. Oui, elle craignait de le revoir depuis qu’elle avait eu ce rendez-vous avec son médecin qui avait prononcé le verdict : la ménopause. Vous vieillissez ma petite Jules, c’est normal. Putain, elle venait de prendre conscience que le passage de la cinquantaine était le plus douloureux et qu’elle allait devoir vivre avec cette putain d’épée de Damoclès sur la tête en attendant que son époux aille voir ailleurs. Parce qu’évidemment, c’est ce qu’il ferait une fois qu’il se rendra compte que sa femme était aussi sèche qu’une trique. Angoissée, elle préparait le repas (un plat qu’il appréciait, comme toujours) en espérant qu’il ne remarque rien, en espérant que tout se passe bien. Se mordillant l’intérieur des joues, elle entendit la porte s’ouvrir. Il était là. Il était rentré. Son cœur se serra, son estomac fit de la voltige et elle attendit qu’il vienne la rejoindre dans la cuisine. Elle sentit ses lèvres chaudes se poser sur sa nuque, sa main glisser sous son tee shirt. Elle ne frémissait pas. Elle était vide de tout. On lui avait arraché tout ce qui lui restait d’excitation. Elle se dégoutait et le repoussa presque brutalement.

« Qu’est ce que t’as putain ? »
« J’ai pas envie, c’est tout ! » Excuse de merde, elle le savait mais que pouvait-elle lui dire d’autre ?
« T’as … Ca fait des mois qu’on s’est pas vus et tu … t’as pas envie ? Tu te fous de ma gueule ? Tu vois quelqu’un d’autre c’est ça ? Un autre lycéen comme moi à l’époque ? Je te jure, si c’est le cas, ce petit fils de pute n’aura plus rien entre les jambes dès que je lui aurais mis la … » Comme si elle était encore capable de conquérir le cœur et l’entre jambe d’un lycéen.
« Dis pas de conneries. Je ne vois personne d’autre ! »
« C’est ça, prend moi pour un con, je ne suis jamais là, qu’est ce que j’en sais que tu ne te fais pas sauter par le livreur de journaux ? » Elle écarquilla les yeux en posant les mains sur les hanches.
« C’est ça l’image que t’as de moi ? C’est ça ! Petit merdeux ! Va te faire foutre ! »
« Vieille tarée ! Toi, va te faire foutre ! » La rage dans les yeux, elle était essoufflée par cette énième dispute. Son cœur battait la chamade, ses mains tremblaient légèrement. Elle était sous pression et avait envie de l’étrangler pour avoir utilisé le mot « vieille », l’enfoiré ! D’ailleurs, c’est sous un nuage de jurons qu’il se dirigea vers la salle de bain alors qu’elle coinçait une cigarette entre ses lèvres.

Mauvaise, elle ne voulait pas le voir. Ne pas le voir. Ne pas lui adresser la parole. Ne pas affronter son regard, ses paroles, son désir. Non. Elle avait peur de ce que cela pouvait donner. Néanmoins, Jules ne pouvait rester séparée trop longtemps de son époux : l’amour, drôle de sentiment. Alors quand elle le rejoignit dans le garage et qu’elle le vit s’occuper de sa moto, son cœur se serra à nouveau. Elle l’aimait. Un amour fort et pur. Un amour qu’elle n’avait ressenti que pour lui, de bien trop d’années son cadet. Elle ne l’avait pas prévu, ça lui était tombé dessus comme ça et aujourd’hui encore – quatorze ans après – elle l’aimait toujours autant.

« Je suis ménopausée, tu sais ce que ça signifie ? »Elle lâchait le morceau. Communiquer : c’était la clef, pas vrai ? « Ca veut dire que je ne pourrais plus essayer de te donner un enfant, que je suis belle et bien vieille et que ça risque de compliquer nos rapports. Le médecin m’a donné un traitement pour ça, pour limiter les dégâts. » Elle avait eu envie d’ajouter « pour éviter que je me dessèche comme un marin’ dans le désert mais elle s’était abstenue. Alors, la femme brisée s’approcha de son jeune époux et enroula ses bras autour de son cou avant de déposer un tendre baiser sur son crâne rasé. « Je suis désolée, j’aurai dû t’en parler plus tôt. »
« T’en fais pas pour ça, ok ? Tu veux aller faire un tour ? »

***

Mais la vie continuait. Elle vivait à la Base. Elle faisait son job. Lui, il faisait le sien. Ils continuaient à se voir pendant les permissions. A faire comme si tout allait bien alors que les mois, les années passaient. Elle ne pouvait plus lui offrir ce qu’il voulait mais ils se le cachaient. Elle devenait de plus en plus jalouse. Elle craignait de le perdre … et sa crainte fut décuplée quand elle apprit sa blessure. Le perdre pour toujours. Son cœur avait semblé s’être arrêté quand on lui avait annoncé sa blessure. Pas lui. Il était de retour chez eux. Blessé. Détruit. Tout partait en couilles.
Le Destin les remettait à l’épreuve.