Je ne me souviens plus réellement du pourquoi du comment l’ancre est devenu mon exutoire, ce qui en soi est d’un ridicule affligeant, puisqu’il s’agit là de nombreuses pages noircies dont tu n’auras certainement jamais connaissance. Ma mémoire ne se souvient plus du nombre de lettre qui se trouvent sous ce lit, mais elles traversent le temps, les saisons, les tempêtes qui secouent mon âme. Au début, j’ai commencé à écrire dans l’optique de te dire la vérité, les raisons de mon départ et de mes nombreux silences, ceux que tu ne cessais de me reprocher à l’époque, ceux qui ont causé notre perte. Et puis, j’ai découvert que je n’étais pas aussi courageuse que je voulais bien le faire croire, c’est ridicule je sais, un simple timbre aurait suffi, mais ce fut mon corps tout entier qui rejetait l’idée même que tu puisses voir mes failles, t’en servir contre moi ou pour moi. J’en suis désolée, je sais qu’une vie ne suffirait pas pour avoir la prétention de posséder ton pardon, mais je suis désolée, sincèrement Rickon. Priam, notre fils grandit de jour en jour et il te ressemble un peu plus chaque jour, c’est une fierté qui me comble de bonheur, cet enfant te ressemble tellement, au fond de ses pupilles il y a toute la malice et la nonchalance qui dort en toi et chaque jour il ne cesse de vivre au travers des histoires que je lui conte lorsque je le borde. Son père est son superhéros, de ses petites mains il ne cesse d’embrasser cette vieille photographie de nous deux, tu sais, celle prise en noir et blanc par oncle Jack, celle où j’aborde sur mes épaules ta veste en cuir qui reflétait ta vision du monde, cette photo où mes bras entouraient ton torse, toi souriant de malice prêt à faire gronder le moteur de ta moto noir que tu aimais si fort. Ce fut mon premier tour en moto, moi l’adolescente qui ne connaissait pas cette sensation de liberté. Et bien cette photo usé par le temps et mes larmes, Priam ne cesse de l’observer avec des étoiles dans les yeux, il y voit la jeunesse de ses parents et je le jure devant n’importe quel dieu il se dit capable de voir dans mes yeux de petite fille tout l’amour que j’ai pour toi. C’est un enfant malin, intelligent, je me fais violence de ne pas venir jusqu’à toi, de te laisser vivre ta vie de briguant, de ne pas instaurer un poids supplémentaire sur tes épaules charnus. Mais sache, que cela ne veut pas dire que je ne pense pas à toi, je pense à toi chaque jour, chaque nuit, chaque matin, hélas les mots sont emprisonnés au fond de mon cœur gardés par un loup sauvage prêt à me dévorer à la moindre faille. Mais je t’aime Rickon, seul l’ancre peut soulager ce poids qu’est l’amour, je t’aime pour tout ce que tu es, tout ce que tu seras, tout ce que tu m’a offert, en premier lieu Priam qui incarne un peu de nous deux, et tout ce que tu ne m’a pas offert, tout ce que je ne t’ai jamais laissé m’offrir.
Sais-tu ce qui me rappel tant ton absence ? C’est ridicule, je suis certaine que tu rirais en lisant cette lettre, et bien c’est cette odeur de tabac froid qui m’enveloppait chaque fois que je me blottissais contre toi, une odeur atypique puisqu’elle se mêlait étrangement bien avec celle de la poudre de ton arme, ainsi que l’huile de moteur. Comme ces jours heureux au garage me manque, comme oncle Jack me manque. J’ai fait un choix, j’en assume les conséquences, mais cela ne veut pas dire que je n’ai aucun regret lorsqu’il est sujet de ta personne, des regrets j’en ai, mais tu sais, la simple idée de te savoir vivant et souriant réchauffe mon cœur. Je te quitte sous cette dernière tirade, je t’aime.
Cher Rickon, ✻✻✻