Fils de parachutiste et petit fils de Marine, O'Keefe est né à Fort Bragg, une base américaine de Caroline du Nord, il y a une trentaine d’années de ça. Son enfance fut marquée par les différentes affectations de son père à travers le monde, et ce n’était pas pour lui déplaire. Elève peu studieux, au grand dam de sa mère, il privilégie le sport et les conneries d’adolescence. A l’âge de 18 ans, avec l’accord signé de son père, O'Keefe pousse la porte d’un bureau de recrutement de l’US Navy en tant que simple matelot. Désireux de voir du pays, il n'en vit au final que très peu, puisqu'il se retrouva affecté au sein d'un équipage de sous-marin nucléaire d'attaque, en qualité de matelot torpilleur.

Dès lors, il ne pensa qu'à sortir de cette boîte de conserve, et tout les moyens possibles étaient envisagés. C'est au cours d'une de leurs patrouilles qu'il découvrit l'opportunité qui pouvait alors s'offrir à lui. Alors qu'ils naviguaient au large des côtes iraniennes, son sous-marin fut chargé de s'introduire au sein des eaux territoriales iraniennes afin de libérer une équipe de plongeurs de combat en mission de reconnaissance. C'est la première fois qu'Archy côtoya des membres des forces spéciales américaines et lorsqu'il les vit monter à bord, il ressentit soudainement le besoin d'être des leurs. De faire partie de cette élite qui partait en mission à l'autre bout du monde sous le couvert du confidentiel défense. Lui aussi, un jour, serait SEAL. Dès lors, lorsqu'il n'était pas de quart, l'Irlandais passait ses heures en salle de sport ou se préparait individuellement dans sa chambrée.

Il devra attendre trois ans, ainsi que l'accord de ses supérieurs hiérarchiques, pour se présenter aux pré-sélections annuelles. Finalement sélectionné, Harper enchaînera sur un an de sélection et d'entraînement intensif : le BUD/S (Basic Underwater Demolition / SEAL), suivi du SQT (SEAL Qualification Training) et du TRP (Troop Training). Ce fut probablement l'année la plus difficile de sa vie, mais le jeu en valait la chandelle. Grâce à son mental et à son esprit d'équipe, Archy eut la chance de faire partie de ces quelques veinards a pouvoir arborer sur son uniforme l'insigne doré du Trident. Ce n'est donc qu'au début des années 2000 qu'il rejoignit son unité, en tant que spécialiste des armements de sa section.

Après les attentats du 11 Septembre, il ne leur fallut pas longtemps pour partir en opération et enchaîner les tours d'opérations. C'est ainsi que de 2001 à 2014, O'Keefe et son unité n'effectuèrent pas moins de 5 déploiements : 4 en Afghanistan, et 1 en Irak lors de la seconde invasion du pays. A part les deux offensives qu'il mena au début des opérations Enduring Freedom et Iraqi Freedom, le plus gros des missions de sa section était la traque des personnalités importantes de l'état-major du chef d'Al-Qaeda ou du régime de Saddam Hussein. Seulement, tout ne s'est pas toujours aussi bien passé, et lors de son deuxième déploiement en Afghanistan, en 2005, Archy fut blessé lors d'une embuscade dans les montagnes afghanes. Il fut rapatrié au pays, et après sa convalescence et sa rééducation, il fut renvoyé sur le terrain et même promu au rang de sous-officier.

Journal, Avril 2007 a écrit:

Voila 4 mois que nous sommes en Afghanistan, et l'activité n'a jamais été aussi intense qu'en ce mois de février. Auparavant, nous n'avions pas eu beaucoup d'action : quelques désignations lasers pour des frappes aériennes, une ou deux escarmouches par-ci par là et c'était tout. Notre patrouille avait commencé dix jours plus tôt, et nous avions déja détruit trois caches d'armes, principalement composées d'obus de mortiers, de SA7, de RPG ou de fusils AK venant de l'autre côté de la frontière. Il ne se passait pas un jour sans que nous n'étions pas accrochés par des tirs de mortiers ou de fusils automatiques. Fort heureusement, jusqu'à présent, on n'avait pas eu de blessés. Mais nous étions sales, fatigués, couverts de poussière. Nous avions tous une barbe de dix jours sur le visage, et nous devions surement faire peine à voir. Alors que nous marchions vers notre prochain point de passage, nous fûmes surpris par une série d'explosions, un peu plus loin sur notre gauche. Instinctivement, nous nous étions plaqués au sol, scrutant les alentours. Nous ne voyions rien, sauf les nuages de fumée et le bruit de la fusillade. Jones s'approche de moi en rampant. De son accent texan inimitable, il me dit :

"Chef, je capte ça sur les ondes."

Il s'agissait d'un échange entre l'unité engagée et le Commandement.

"Ici Cow-Boy 1-1 à toutes unités ! Besoin d'aide impératif et urgent au point 154-304, je répète .."
"Cow-Boy 1-1, ici Manitou. Calmez-vous ! Des F18 sont en route vers vous. Ils seront sur vous dans 20 minutes."
"Mais on sera tous morts dans 20 minutes, nom de Dieu "

Cowboy était l'indicatif d'une patrouille de Hummers d'un régiment de Marines, d'après le point de situ du matin. A vue d'oeil, nous étions à deux kilomètres d'eux, et d'après ma carte légèrement moins. Nous avons néanmoins une crète à passer, avant de nous retrouver sur une seconde, sur laquelle nous nous posterons afin d'avoir un avantage tactique considérable, car nous surplomberons la route sur laquelle se trouve l'escouade de véhicules sous le feu ennemi. J'empoigne le combiné radio de Jones, son matériel étant plus adapté que le mien pour les montagnes.

"Cow-Boy 1-1, ici Whiskey 2-1. Nous arrivons de l'est par la crète qui vous surplombe. Nous tirerons une fusée pour nous prévenir. Horaire estimé d'arrivée : 5 à 10 minutes. Tenez bon ! Whiskey 2-1, terminé."
" Whiskey 2-1, Bien reçu ! On tiendra ! Terminé."

Je me retourne vers mes gars et me relève :

" Allez les gars, on y va ! Je sais que vous êtes crevés, que vous en avez ras les rangers, mais ce sont des gars à nous là-bas. On ne peut pas rester ici à rien faire. On va se bahuter la gueule pendant dix minutes pour y aller et on les tire de leur merdier, nom de dieu !"

Ils acquiescent en silence et se relèvent, replaçant leur équipement. Je commence à courir en direction de la zone des combats. Les deux crêtes à grimper sont difficiles et cela me rappelle la formation à Coronado. Nous arrivons enfin, 7 minutes plus tard, en haut de la deuxième crète, complètement essoufflés et dégoulinant de sueur. Chacun se poste : Hawkins choisit le meilleur emplacement pour son fusil mitrailleur, Smith également avec son fusil de précision. Delfort et Lopez restent à proximité de moi. Les talibans sont juste en dessous de nous et ne nous ont pas aperçus. Ils possèdent quelques RPG et quelques fusils mitrailleurs :

"Delfort, balance ta fusée ! Pour les autres, ouvrez le feu ! Feu à volonté sur les cibles ennemies uniquement visibles !"

Delfort place la fusée dans son M203 et tire verticalement. Un véritable déluge de feu s'abat alors sur les troupes talibanes désorientées. Les Hummers, quant à eux, crachent le feu avec leurs 12.7 ou 7.62 de bord. J'arme mon M14, vise et tire. Je regarde Hawkins sur ma gauche : il tire en discontinu avec son fusil-mitrailleur et semble prendre un plaisir certain. Tout à coup, j'aperçois un tireur RPG ennemi qui nous vise. Le temps de l'ajuster et de lâcher une rafale au jugé qu'il s'effondre, mort. Néanmoins, il a eu le temps d'appuyer sur la gâchette et sa roquette nous rate de peu, passant à moins de deux mètres entre Lopez et moi. Je le regarde.

"Jones, t'es ok ?"
"Ca va !! Merci !"

Je ne peux m'empêcher de rigoler malgré moi. Son chapeau de brousse s'est envolé sous le passage de la roquette et la moitié de sa chevelure blonde a roussi sous le passage de la flamme. En bas, les tirs baissent en intensité. Des talibans se lèvent et jettent leurs armes, les bras en l'air. L'action a duré moins de dix minutes. Un silence assourdissant, en contraste avec les dix précédentes minutes envahit alors l'atmosphère. Je me mets à genoux et regarde les alentours. Plus rien. En bas, les Marines ont commencé à rassembler les prisonniers.

"Allez, on y va."

Je me lève et commence à dévaler la pente, recueillant au passage trois prisonniers qui servaient un RPK. L'un d'eux ne doit même pas avoir 15 ans. Quel gâchis .... Des cadavres gisent ici et là. Ils étaient à peu près une soixantaine et avaient bien organisé leur coup : une roquette immobilisait le véhicule de tête, tandis qu'un EEI (Engin Explosif Improvisé) coupait leur retraite. Sur une route pareille, impossible de doubler. Le coin parfait pour une embuscade ....

" Sergent, par ici !"

Quelqu'un m'interpelle. Je me retourne : un officier, selon ses galons, s'avance à ma rencontre.

" Lieutenant Douglas, Marines Reconnaissance Battalion. Au nom de mes hommes et de moi-même, merci. Sans vous, nous étions cuits !"

Il me serre la main vigoureusement.

"Nous n'avons fait que notre boulot, mon Lieut'nant .."
" Quoiqu'il en est, mes gars vous doivent un coup, Sergent .. ?"
" O'Keefe. Seals. On attendra votre coup à boire de retour à Kaboul, mon Lieut'nant, soyez-en assuré !"fis-je en souriant .

Jusqu'à peu, O'Keefe ne s'était concentré uniquement sur sa carrière, ainsi que pour son unité. Il vivait pour les Seals, et ces derniers le lui rendait bien. En effet, le sous-officier était constamment en opération, et ce à n'importe quel endroit sur la planète. Au grand dam de sa mère désireuse de passer à l'étape supérieure et d'accueillir des petits-enfants chez elle, le sous-officier n'eut jamais de vie sentimentale digne de ce nom, et relativement sérieuse pour aborder des questions sensibles dans un couple. Ses catastrophes amoureuses n'ont fait au final que renforcer son envie de se dépenser pour sa carrière, et de délaisser les autres choses. Si ce n'était sa famille et son unité, O'Keefe ne possède aucune attache ....





Deux mois que le sous-officier était retourné dans ce trou pourri qu'était l'Afghanistan. Et il en restait dix à tirer avant de pouvoir profiter du retour au pays. Putain de déploiement. Putain de pays. Putain de chaleur. Putains de talebs.

O'Keefe adorait son boulot. Il adorait son unité et les gars qu'il avait sous ses ordres mais lorsqu'il patrouillait depuis plus d'une demi-journée sous un soleil de plomb, et que tous les gars du coin cachaient à peine l'envie de leur faire la peau, il commençait vraiment à en avoir plein le cul. Ce n'était pas son  déploiement dans le coin même si les autres ne s'étaient pas aussi bien passés, il s'en était tiré sans trop de casse. Si on omettait les pertes, évidemment. A croire qu'il avait le cul bordé de nouilles. Mais la roue tourne un jour ou un autre, et Archy savait pertinemment que la balle a son nom avait déjà été usinée.

Non pas qu'il était couard, ou quoi que ce soit. Mais le problème à la guerre, c'est qu'il y a trop de temps pour penser. De penser à tout et à rien. A sa famille. A ce qu'on va faire le soir de retour au camp. A la balle qui nous est destinée. A l'éventuel barbu planqué sur la prochaine crête. Au pote qui s'est fait dessouder la veille.

Le temps passait, inexorablement. Et alors que tout était calme et que rien ne laissait présager un quelconque problème, elle tomba, celle que tous redoutaient. L'embuscade, terrible et imprévisible. L'homme en tête de la colonne américaine était déjà tombé, frappé par la première rafale. Fini de penser, maintenant, il faut agir. Aussitôt, les réflexes prennent le dessus et O'Keefe se transforme en une machine, répétant les mêmes gestes pour lesquels il s'est si souvent entraîné. Il s'est couché à terre, essayant de se faire le plus petit possible et de repérer l'origine des tirs.

Un coup d'oeil expert lui permet de se faire une rapide idée de la situation. Les salauds ont bien maîtrisé leur coup, et ont patiemment attendu que la section américaine soit dans le thalweg pour ouvrir le feu depuis les crêtes. Un cas d'école. Ils étaient foutus.

"Chief ! Tu prends tes gars et tu les amènes sur ce renfoncement à notre gauche ! Tu nous couvres jusqu'à ce qu'on atteigne les arbres, pigé ?"

La voix s'éleva derrière lui et il la reconnut aussitôt. C'était celle de son commandant d'unité, un jeune lieutenant du nom de Lee Harper. Il était arrivé depuis peu au sein du groupe, et O'Keefe ne savait pas trop quoi en penser. Il ne l'avait jamais vraiment vu dans le feu de l'action, et le sous-officier avait déjà vu des mecs devenir transis de peur au contact de l'ennemi. Il acquiesça, regroupa ses hommes tandis que sa poigne serrait instinctivement son fusil. Ils devaient bouger de là. Le groupe d'Archy atteignit sans pertes le petit renfort naturel et ils ouvrirent le feu de concert. Le sous-officier dirigeait le feu du fusil mitrailleur de sa section en lui donnant des repères visuels simples. Viser. Tirer. Recommencer. Aucun état d'âme.

Tout se passait plus ou moins bien. Un bref coup d'oeil par dessus son épaule et le soldat pouvait se rendre compte de la bonne progression de son unité. Ca allait bientôt être leur tour de se replier. Lorsque tout à coup, un sifflement caractéristique se fit entendre. O'Keefe serra les dents. Il savait trop bien ce qui allait se passer. Il grommela un juron dans sa barbe avant d'ordonner :

"Mortier ! A couvert ! Baissez-vous bord.."

Il n'eut même pas le temps de terminer sa phrase que le souffle de l'explosion le projeta contre le rocher le plus proche. Le souffle coupé, il essayait désespérément de retrouver sa respiration. Une douleur intense le lancinait, le rendant incapable de tout mouvement. Il n'entendait plus rien, et sentait un liquide chaud et gluant couler sur son visage. Ca y est, pensait-il, c'est fini. Sa tête le faisait souffrir et il avait cru que la jugulaire de son casque allait la lui trancher pendant l'explosion. Son seul réflexe est d'essayer d'atteindre et de sortir son arme de poing pour tirer vaguement sur l'ennemi. Alors qu'il se sentait partir et qu'il commençait à fermer doucement les yeux, il se sentit secoué de toute part. Il ouvrit péniblement un oeil, constatant qu'Harper était là, au-dessus de lui à essayer de le maintenir éveillé. Archy ne pouvait entendre que des bribes de phrases.

"All.. ief ! Tiens ..on ! On .... rtir de là !"

La suite est particulièrement floue. Archy se sent tour à tour s'en aller, puis redevient conscient. Il a pendant un instant l'impression de voler, avant de se rendre compte que ce sont juste ses camarades qui le transportent vers l'arrière. Il est incapable de parler, de dire la moindre connerie, il est juste sous le choc.  Ses sentiments et émotions se mélangent, il a tour à tour chaud, puis froid. Il a peur, puis se sent mû par une force inhumaine. Ses sens parviennent toutefois à reconnaître l'odeur du fumigène que le petit groupe d'homme traverse. O'Keefe a perdu toute notion du temps, et n'entend même pas le bruit de l'hélicoptère qui s'est posé non loin de là. Rien que le même bruit sourd et le même sifflement. Il sent une dernière tape sur son épaule, croit apercevoir un dernier sourire confiant de son chef d'unité et plus rien. Le sous-officier finit par tomber dans les vapes, inconscient.


Blessé par plusieurs shrapnels à différents endroits du corps, O'Keefe fut rapatrié au pays via Ramstein en Allemagne et ne rejoignit pas son unité pour la fin de son déploiement. En convalescence à l'hôpital de Bethesda, Archy dut suivre une rééducation de plusieurs mois, étant donné la gravité de ses blessures. Seulement, malgré avoir été déclaré apte à la fin de sa convalescence, le sous-officier ne put rejoindre son unité comme il le souhaitait. Détaché par la Navy, il devait effectuer un temps d'instruction avant de pouvoir retourner sur le terrain. C'est la mort dans l'âme qu'il fut affecté à Redstone. Pour lui, il se sentait beaucoup plus utile aux Etats-Unis avec son groupe à traquer les talibans plutôt qu'à enseigner les joies de la vie à une bande de pioupious inexpérimentés. Il décida donc de faire contre mauvaise fortune bon coeur, et ferait de ces petits gars une bande de soldats par n'importe quel moyen.