Un homme comme son père imposait le respect rien que par sa prestance et sa tenue aussi droite qu'une poutre. L'uniforme. Cette tenue improbable, aux couleurs sobres, était ornée de quelques galons pour justifier son titre envers les autres membres de sa brigade. Les yeux de l'enfant pétillaient à chaque fois qu'il le croisait dans son attirail, réclamant encore et encore les histoires enjolivée, des souvenirs passés, des interpellations, missions, rien que pour lui donner l'idée quelque peu faussée, d'un super héros. L'idée marchait à merveille puisqu'Avery répétait en boucle qu'à l'âge adulte, il s'enrôlerait dans les forces de l'ordre pour faire partie des "gentils" et protéger les gens qu'il aimait au péril de sa vie. Cette vision enfantine grandit en même temps que sa silhouette, qui, malgré le mètre soixante dix qu'il possédait, se développait au niveau de sa carrure sans pour autant ressembler à un déménageur. L'adolescent vivait son quotidien comme un jeune lambda, ne faisant partie d'aucune catégorie particulière comme les intellectuels, les cancres, les bagarreurs, les dragueurs, les mauviettes. Par contre, sa sportivité l'aidait à s'intégrer sur le campus. Il courait vite, il se déplaçait avec agilité et sa passion pour les sports de combat au corps à corps, lui permettait de se défendre contre les grosses frappes qui cherchaient une âme charitable à martyriser. La vie semblait simple puisqu'il était respecté par ceux qui goutèrent à ses prises efficaces et oublié de ses camarades de classe. Une petite routine qui lui convenait à merveille car il n'avait qu'un but, finir rapidement le lycée et s'inscrire sur les listes de l'armée. Une inscription qui finalement s'officialisa, lors d'une présentation des métiers réalisables au sein de l'armée de terre. Les avantages y étaient nombreux pour attirer les jeunes en quête d'une carrière courte mais rentable pour défendre son drapeau. Les premières semaines furent déboussolantes. Il lui fallait dormir dans un dortoir commun à plusieurs nouvelles recrues, il suivait les règles énoncées par sa hiérarchie, se levait aux aurores, terminait sa soirée par des exercices physiques qui mettaient à mal ses muscles endoloris. Comme quoi, tout le sport pratiqué en amont payait aujourd'hui.

Les nuits à faible dose de sommeil s'accumulaient au dépend de sa réactivité, pourtant, il donnait toute sa personne jusqu'à ce que son esprit ou son corps ne craque sous l'épuisement et la douleur. Il était près à tout pour être envoyé sur le terrain, faire partie d'une vraie équipe, être un soldat. Néanmoins, la bonne volonté, ne suffisait pas à elle seule pour justifier son envoie en extérieur. Un enseignement était dispensé sur plusieurs mois voir années avant qu'une première affectation ne soit autorisée. Avery s'entraina durant quatre années avant d'être envoyé sur une première mission. Avant même qu'il ne s'en rende compte, elles se multiplièrent de façon exponentiel. Le danger était réel et les blessures plus ou moins grave également. Ce n'était pas un jeu mais il était aux anges, sa passion, sa patrie, sa famille.

Sa clé déverrouilla la porte d'entrée de sa maison, laissant entrer sa silhouette à l'intérieur de la battisse silencieuse. Un coup d'œil à droite puis à gauche mais pas un signe de vie à l'intérieur. Les chaussures à talons, habituellement délaissées sous le porche, pointaient aux abonnés absents. Seule, une liasse de papier siégeait sur la table du salon, des formulaires signés par sa femme et son avocat, lui réclamant le divorce. Ce fut la douche froide pour le soldat qui s'était démené pour obtenir une permission de trois jours afin de fêter l'anniversaire de sa grande aux côtés de sa famille. Sauf que celle ci n'était plus qu'un beau souvenir entachée par son absence longue durée. Sa moitié, lasse d'attendre un homme marié à son pays et à sa défense nationale, préféra troquer sa solitude contre une autre vie. Vivre dans une base, la peur au ventre chaque jour, de voir des hommes se présenter aux portes des nouvelles veuves pour annoncer la perte d'un courageux mort en héros. La famille en souffrait. Tous n'étaient pas fait pour réaliser un tel sacrifice. Ce n'était tout du moins pas le cas de Mme Flores, qui s'était épris d'un autre homme deux mois avant de prendre cette décision. Une personne qui lui donnait l'attention qu'elle méritait autant qu'à ses propres enfants. Alors sans vraiment s'attendre à ce qu'Avery ne quitte son poste terrain pour une vie plus tranquille à l'américaine, elle préféra briser les chaines de sa routine monotone et lassante au prix de sa santé. Les quelques lignes couchées sur un morceau de papier, suffirent à l'avertir de son choix, ne lui laissant aucun numéro ni adresse. Ils se verraient au tribunal. Son corps se laissa tomber le long d'une chaise posant l'un de ses coudes sur la table afin que la paume de sa main vienne soutenir son front. Son visage, accablé par la douleur de cette perte soudaine, se dissimulait derrière sa chevelure brune. Il venait de perdre une part de lui même. Son coeur se resserrait, l'empêchant de respirer à un rythme normal. Il souffrait.

Deux jours suivirent cette disparition sans que sa carcasse ne trouve le sommeil. La voix de sa femme lui manquait même les nombreuses disputes qui furent échangés avant sa dernière mission. Il se rappelait en détail des traits de son visage, de sa taille fine, de son sourire angélique ou encore de ses joues rosées lorsque ses attentions la comblait. Trop c'était trop. L'homme avertit par téléphone, son supérieur hiérarchique pour lui annoncer son retour immédiat auprès des autres soldats de son unité. Peu importait le lieu de leur prochaine mission. Il voulait travailler d'arrache pieds pour oublier la perte de ses êtres chers au risque de devenir une machine de guerre. Sa taille n'était certes pas très grande mais il se défendait . Sa foie envers son équipe lui donnait des ailes sur le terrain. Il mettait en œuvre son expertise et son expérience au profit des petits nouveaux. Etre soldat n'était pas un jeu c'était une vocation qu'il comptait bien mener à bien jusqu'à son dernier souffle. Avery était assimilé à l'image du soldat parfait auprès de ses supérieurs. Néanmoins, chaque homme possédait ses propres limites que le corps ou l'esprit fixaient au dépend de son propriétaire. Ses nuits devenaient agitées par les bribes de souvenirs choquants qui passaient en boucle dans son esprit. A chaque fois, il se réveillait en sursaut, le front noyé par la sueur, se forçant ensuite à réaliser une vingtaine de pompes qui lui ôteraient ses images sans pour autant y parvenir. Alors il commença à prendre des médicaments pour diminuer la douleur. Ce n'était pas suffisant. Avery choisit alors de quitter sa position terrain contre un poste d'enseignant. La filière combat lui fut tout de suite proposé au vu de ses états de service exemplaires bien que son supérieur direct, espérait le faire changer d'avis. Ce n'était pas un métier satisfaisant pour un bourreau de travail tel que lui. Une simple main tendu vers lui et l'homme fut bien obligé d'accepter sa perte. Avery voulait une nouvelle vie, un nouveau départ, un autre lui.

Il commença par acheter un chien qu'il nomma Toby histoire de lui donner un peu de compagnie. Il prit même des cours de dressage pour lui apprendre une trentaine d'ordre que son fidèle compagnon suivait à la lettre. Pourtant, son mal-être ne faisait qu'amplifier sans qu'il ne puisse le gérer. Son médecin lui préconisait du repos ainsi qu'une psychothérapie, souvent nécessaire pour se remettre des méfaits du terrain. Les effets post traumatiques étaient monnaies courantes dans l'armée. Néanmoins, le soldat s'y refusa. Il n'était pas question de passer des heures devant un ou une parfaite inconnue pour lui dévoiler sa vie, sans tabou. Ce n'était pas dans sa nature de dévoiler ses problèmes au grand jour. Pourtant, ses soucis étaient bien réels. Ils se manifestaient de plus en plus souvent. Ses médicaments ne faisaient plus effet, alors il commença à boire plus que de raison, mélangeant ses cachets avec. Puis il passa aux drogues douces. Juste un peu pour tenter de se libérer du poids de ces images et pouvoir enfin reprendre pieds mais ca ne l'aidait que temporairement. A côté, l'américain enseignait l'art du combat à de nouvelles recrues comme de plus ancienne. Il aimait partager sa passion pour l'uniforme, leur inculquer les règles élémentaires pour survivre sur le terrain. La corpulence pouvait jouer son rôle mais elle n'aidait pas forcément à survivre sous une pluie de balle ou face à un molosse d'un pays adverse. Il se montrait autoritaire et ferme mais les aidait dans chaque manœuvre qu'ils entreprenaient pour corriger leurs erreurs. Une seule et unique faute sur le terrain pourrait leur coûter la vie. Il était de son devoir de protéger ces gamins, autant qu'il fut instruit par le passé. Son job lui plaisait énormément, il gardait cette part d'armée tout en menant une vie plus tranquille loin des horreurs de la guerre. Il avait tout donné jusqu'à sa santé psychologique, il n'en donnerait pas d'avantage à son pays.

Chaque jour, la peur de se faire prendre le rongeait de l'intérieur alors que son corps s'habituait à l'absorption de toutes ces substances toxiques. La dépendance n'était jamais très loin, surtout qu'il en ressentait les signes. De façon aléatoire, des crises se déclenchaient, mains qui tremblaient, visage livide, sueur roulant le long de ses tempes et frisson. Sans parler de piques de douleur qui le prenait et l'obligeait à s’asseoir. Et si jamais cette crise débutait lors d'un de ses cours ? Comment le dissimuler aux yeux des autres, surtout que ses plus proches amis commençaient à se poser des questions à son sujet. Des questions qu'il évitait toujours su esquiver avec finesse. Cependant, il fallait bien se rendre à l'évidence. Les mensonges entraînent des mensonges encore plus gros qu'il était bien difficiles à garder crédibles et logiques. S'il se faisait prendre, sa carrière dans l'armée s'en verrait entacher. Avery, un enseignant pas comme les autres.