Elle s'occupe de sa rééducation depuis qu'il a été rapatrié et elle a d'ailleurs fini par l'appeler "Monsieur Grognon" parce qu'il n'a de cesse de bougonner et d'être de mauvaise humeur chaque fois qu'il met les pieds dans le centre de rééducation. D'ailleurs, tout le monde a fini par jeter l'éponge, il n'y a qu'elle pour s'acharner et faire fi de sa mauvaise humeur pour l'aider. Elle n'hésite pas à le tacler, à lui faire remarquer qu'il agit comme la reine des femmelettes et à lui donner des défis qu'il relève à chaque fois, fier comme un paon qu'il est. Elle est même parvenu quelques fois à le faire sourire, qui aurait cru que ce type avait des dents? Elle ne sait de lui que ce que les gens racontent, qu'il est marié à une vieille et qu'il y a de l'eau dans le gaz depuis un sacré bout de temps mais elle a appris à ne pas juger les autres sur des ragots stupides et pour ce qu'elle peut entrevoir, c'est un homme blessé dans son orgueil de mâle, comme tous les types qui se retrouvent au centre. Un soir, après une séance ardue où il fut incapable de reproduire tout ce qu'il avait acquis les semaines précédentes, il craqua, se mettant à pleurer comme un gosse, chose qui ne lui arrivait jamais. Fort heureusement, il ne restait plus qu'eux, ne sachant que faire, elle le serra dans ses bras alors qu'il était assis dans son fauteuil, caressant sa tête comme elle le faisait avec ses frères autrefois jusqu'à ce qu'il relève la tête et qu'elle vienne chercher ses lèvres. Elle l'aime bien, au fond, monsieur Grognon, plus qu'elle ne le devrait et ce baiser a rendu les séances particulièrement bizarre, il parle encore moins que d'habitude mais elle sait qu'à un moment, il faudra mettre le sujet sur le tapis. Il est marié et elle n'a jamais été une briseuse de ménage mais elle ne peut s'empêcher d'être attirée par lui comme par un aimant, sans doute à cause de cette peine qu'il semble porter et qui fait écho à la sienne.