trying to find a heart that's not walking away.

Le manque d’une personne est terrible. Comme une main invisible qui, subrepticement, s’empare de votre cœur et décide de le tordre dans tous les sens. Comme un manque d’air, mais plus cruel encore car il ne suffit pas d’inspirer pour combler ce manque-là. Parfois, on parvient à oublier, pour un instant, à quel point cette personne nous manque ; mais là, un objet, une odeur, un bruit, nous rappelle à l’ordre et c’est comme une porte qui claque sur cet instant de répit. Etre en manque d’une personne est une douleur incessante, une souffrance sourde et incomprise car personnelle.

Elle avait l’impression d’avoir passé sa vie à attendre quelqu’un.

The father.

Enfant, Jamie-Rose Gallagher aimait croire que sa vie était un conte de fées qui n’avait pas encore commencé. Qu’un jour, elle rencontrerait un beau garçon qui l’aurait attendu toute sa vie, et lui promettrait de l’aimer pour le restant de ses jours. Qu’elle serait riche, et qu’elle pourrait donner à ses parents tout son argent pour qu’ils s’achètent cette maison dans laquelle ils vivaient en location. Que son père, enfin, arrêterait de partir loin, si loin que le téléphone ne passait même pas là-bas.

Elle aimait le croire, mais savait pertinemment que ça ne serait jamais le cas. Et en ce jour d’été, alors que les vacances s’étiraient et semblaient presque interminables, sa petite tête rousse courait dans les prairies de Crosshaven, en Irlande. Rêvant d’un jour lointain, où elle serait riche et célèbre pour toutes les histoires qu’elle inventait chaque jour. Elle avait déjà commencé à réunir toutes ses petites histoires, au cas où un éditeur passerait par la petite ville irlandaise et déciderait de publier ses écrits ; les écrits de Jamie-Rose Gallagher. Les grandes étendues vertes n’étaient pas assez grandes pour elle, pas assez imposantes ; elle avait besoin de plus grand, de plus beau, de plus fort. Elle savait qu’elle était destinée à quelque chose de plus grand. Elle le sentait.

Papa Gallagher était maintenant parti depuis sept jours. Sept jours, une semaine ; si peu de temps, et tant de jours à venir où la famille Gallagher attendrait son retour. Son frère, sa mère, et elle, tous les trois tournant en rond dans la petite maison cossue d’Irlande de l’Est. Cela ne serait pas la dernière fois qu’il partirait; pour lui, être militaire était plus qu’un métier, c’était une vocation. Chaque mission, chaque opération extérieure qu’il pouvait effectuer, il la faisait ; et au final, s’il partait, c’était plus pour lui que pour eux. Jamie avait déjà essayé de lui en vouloir, d’être en colère contre lui. Mais c’est ça, le problème avec la famille ; c’est notre bien le plus précieux, et même quand on devrait être fâché, une sorte d’instinct conservateur nous pousse à la réconciliation. Au grès des mutations du colonel Gallagher, il y avait une chose que Jamie-Rose avait retenu ; les amis partent, les amours nous quitte, mais la famille, elle, reste toujours tapie dans un coin.

Ce soir –là, en rentrant de sa balade dans les prairies de Crosshaven, la petite Jamie-Rose âgée de sept ans ressentit une douleur. Une douleur étrange, qu’elle n’avait pas l’habitude de ressentir. Comme si un chiffon avait été placé entre son cœur et ses os, comprimant sa poitrine et lui faisant mal. Comme une pluie, triste et glacée, envahissant son corps et qui lui donnait envie de se rouler en boule au coin du feu. Arrivée chez elle, sa mère aperçut le regard troublé de sa fille ; mais elle savait déjà ce qui se passait. Elle le savait, parce que son frère avait le même regard, parce qu’elle avait le même regard. C’était les yeux du manque, les yeux de l’espoir, espoir qu’il rentre bientôt. Qu’il rentre sain et sauf.

Attendre un être aimé n’est jamais aussi dur que lorsque le retour est incertain.

“ We run around the rules ”

The publisher.

Citation :

"Une peinture vive et déstabilisante, car pleine de vérité, de la société telle que nous la connaissons."

Jamie-Rose posa la feuille sur la table de jardin, et soupira. Un soupir plein d'angoisse, de nervosité et d'excitation à la fois. C'était si étrange, ce sentiment qui l'habitait depuis quelques temps.
C'était l'excitation enfantine de celle qui avait, enfin, la possibilité de toucher son rêve du bout des doigts.
C'était la nervosité de la chanteuse qui, quelques instants avant le lever de rideau, sentait la pression sur ses épaules devenir presque insoutenable.
Mais c'était surtout l'angoisse de l'écrivain qu'elle était, et qui n'avait toujours pas de titre pour son roman.
Elle avait attendu tellement longtemps pour que, enfin, quelqu'un s'intéresse à son travail d'écrivain. Elle n'était âgée que de 17 ans lorsque son éditeur actuel l'avait découverte; et aujourd'hui, elle avait 19 ans et avait la sensation de l'avoir trahi. Trompé sur la marchandise. Et ça la rendait encore plus angoissée, de savoir qu'il attendait quelque chose d'elle.
Un titre. Un mot, une phrase, une expression; n'importe quoi. Mais un titre. C'était certainement la chose la plus difficile qu'elle avait eu à trouver dans sa vie.
Son roman n'était pourtant pas bien compliqué; elle avait toujours adoré le style d'écriture d'auteurs naturalistes comme Balzac ou Zola. Elle s'en était donc inspirée pour créer un "arrêt sur image" de la société actuelle, au travers de l'histoire d'une femme au revenu modeste désirant devenir une célébrité.
"La course à la célébrité", "Le quart d'heure de gloire"... Tout ça, c'était déjà vu, peu littéraire et donnait envie à Jamie-Rose de se noyer dans son verre d'eau.
Un autre verre d'eau vint alors se poser contre le sien, dans un silence étonnant. Elle leva les yeux vers l'origine de ce mouvement, et rencontra le regard perçant de son éditeur.
Il avait tout pour lui; la quarantaine passée, une maison d'édition assez fructueuse et une famille parfaite. Il appréciait énormément Jamie-Rose, et l'avait rencontré grâce à son fils, qui était le meilleur ami de la jolie rousse.
Il aimait vraiment beaucoup Jamie-Rose.
Ce jour là, alors qu'elle pestait contre le monde entier, lui la regardait avec les yeux douloureux de l'amour impossible, intolérable, presque illégal. Jamie-Rose n'en avait aucune idée, et n'en aurait certainement jamais aucune idée; il était un homme droit, il savait ce qui était bon et ce qui ne l'était pas.
Et ça, ce qu'il ressentait pour cette jolie plante rousse... Ce n'était pas bon du tout.
Et soudainement, dans un éclair violent et inattendu de lucidité, le nom de son roman apparut dans son esprit. Clair comme de l'eau de roche; évident, comme la fin d'un film prévisible ; mais malgré tout parfait, comme la fin d'un bon film prévisible.
Son regard se dirigea vers son éditeur, et croisa le sien, qui l'observait depuis quelques instants déjà. Et, dans un murmure, entre deux bouffées d'air tellement, tellement revigorantes, Jamie-Rose Gallagher dévoila le titre de son tout premier roman à l'homme qui l'aimait plus qu'il n'y a d'étoiles dans un ciel nocturne.

"Fame."

“ We can feel so far from so close ”

The lover.

L'amour, c'est étrange. Pas étrange comme la nouvelle coupe de cheveux de votre grand-mère; étrange comme une chanson magnifique, mais qui vous donne envie de pleurer comme jamais.

Elle avait 19 ans, toujours. Son livre allait être publié, et elle avait vraiment tout pour être heureuse; son rêve de petite fille était sur le point de se réaliser, et son père -pour une fois- serait là pour assister au lancement du roman.
Mais voilà, la vie d'une autre Jamie-Rose Gallagher devait être trop parfaite, et la balance devait pencher vers elle, car sa vie à elle, la petite écrivain de l'Est irlandais, ne l'était pas complètement.
Elle était amoureuse. On aurait pu penser que cela représentait une bénédiction, car ce sentiment est si beau, si fort; mais pour elle, ça n'était qu'un lourd fardeau dont elle voulait se détacher plus que tout.
Amoureuse de son meilleur ami. Une histoire qui n'arriverait certainement jamais; lui, il avait 21 ans, était guitariste dans un petit groupe rock connu dans Crosshaven, et était en couple avec cette blonde qui parlait toujours trop fort.
Et elle? Eh bien, elle était là, à attendre que son roman soit publié, à attendre que sa vie prenne enfin le grand tournant dont elle avait toujours rêvé.

Elle en avait marre d'attendre.

Ce jour là, il y avait cette grande fête organisée en son honneur. Les gens étaient venus en masse, parce que Crosshaven n'était pas connu pour sa folle activité et qu'en plus, ça les rendait fier, d'avoir une petite de leur village qui avait fait quelque chose de sa vie. Jamie-Rose déambulait dans le jardin réquisitionné pour l'évènement, légèrement perdue même si elle connaissait tout le monde, ici.
Elle attendait de trouver le visage dont elle avait besoin, dont elle avait vraiment besoin en cet instant.
Enfin, il était là. Son meilleur ami, ses cheveux trop longs, sa chemise bûcheron trop grande, et ses mains trop petites. Un grand sourire apparut sur son visage, lorsqu'il aperçut sa meilleure amie au loin. Il était heureux de la voir.
Il était très heureux de la voir.
L'étreinte était trop courte pour Jamie, mais pas un mot ne sortit de sa bouche pour protester. S'en suivit alors une autre étreinte, mais différente; son meilleur ami venait de prendre sa main, et l'emmenait à présent hors de la foule, de la fête organisée en son honneur.

Des mots, des mots, des mots. Il parle, se tord les mains, remet une mêche de cheveux à sa place, la regarde dans les yeux, comme s'il cherchait quelque chose; une réaction, peut-être. De l'approbation, sûrement.
Mais comment approuver? Comment le rassurer, comment lui parler, alors qu'il venait de détruire l'univers de la jolie rousse qui l'aimait depuis si longtemps?Deux mots. "Je pars." Et en deux mots, elle avait su que son monde ne serait jamais plus comme avant.
Il s'engageait pour l'armée, partait en Afghanistan pour une mission de deux ans. Il partait dans deux jours.
Elle aurait aimé lui dire que ça allait, qu'elle était heureuse s'il l'était; mais ça aurait été mentir. Alors elle leva le regard vers lui, le visage couvert de larmes, et sans un mot, tourna le dos à celui qu'elle aimait tant. S'il voulait son approbation, sa bénédiction, alors qu'il venait de commettre le pire acte de trahison envers elle, celle qui avait tant souffert de l'armée et de ses opérations extérieures...
Elle ne lui donnerait pas.

Deux jours plus tard, il était allé à l'aéroport, accompagné de sa mère. Son père était à Dublin pour le lancement officiel du roman de Jamie-Rose Gallagher, "Fame". Le fils avait demandé au père de donner à Jamie-Rose une lettre. Mais il ne lui donna pas.
Le soir approchait, l'éditeur si victorieux était seul dans sa chambre d'hôtel miteuse. Il savait qu'elle était juste à côté, dans une autre chambre d'hôtel miteuse; mais il savait aussi que ça n'était pas bien.
Elle, complètement détruite par le départ de l'être aimé, se sentait trahie. Elle décida alors de trahir à son tour. Elle se leva de son lit, trempé de toutes les larmes qui avaient coulé ce soir là. Traversa ce couloir miteux, en faisant attention à ne pas trop réfléchir. C'était un risque, un danger constant pour elle.
Ne pas trop réfléchir. Ne pas trop penser.

Arrivée devant cette porte, Jamie-Rose Gallagher inspira une grande bouffée d'air. Un air miteux, honteux de ce qu'elle allait faire. Mais il le fallait.
Oeil pour oeil, dent pour dent.

Ce soir là, trois personnes pleurèrent. L'une du bonheur de pouvoir, enfin, aimer la femme qu'il aimait d'un amour sincère et pur mais interdit; l'autre, de l'horreur de l'acte qu'elle venait de commettre ; enfin, la dernière pleura de la tristesse du silence, du vide laissé par la personne qu'il croyait aimer comme une amie.