5 MAI 1988 - RUSSIE

« Allez, on se bouge ! » La voix d'un homme. Un chariot qui traverse le couloir. Un hurlement déchirant le silence. Il est un peu plus de vingt-deux heures quand elle arrive à l’hôpital. Même s’ils ne lui montrent pas, les médecins qui se bousculent autour d'elle sont inquiets. En effet, tu étais annoncé pour fin juin et le mois de mai vient juste de commencer. C'est un petit bâtiment aux abords de la ville, loin d'être équipé pour ce type d'intervention et tu ne serais pas le premier à mourir dans de tels circonstances. Pourtant et comme le protocole l'exige, ta mère est conduite en salle d'accouchement où on la prépare rapidement, tandis qu'elle lâche des jurons, malmenée par le personnel. Les gestes trahissent l'habitude, mais la lassitude dû à monotonie les rendent imprécis, maladroits. Encore et encore, ta mère hurle à s'en déchirer les poumons. Elle se débat comme une furie pour se libérer des bras qui la maintiennent fermement en place, pourtant impuissante. Très bientôt, la perfusion qu'ils ont eu tant de mal à enfoncer dans son bras et le produit qui se déverse dans ses veines la rendent plus docile, conditionnant sa peur et sa douleur dans un étau brumeux. Elle parle en russe à l'attention de ses tortionnaires en blouse blanche, qui l'invitent à se détendre et à pousser afin d'expulser l'enfant, disent-ils, lui prodiguant des paroles apaisantes, répétant leur sempiternel refrain.