♫
Everything that kills me makes me feel alive

« Mon très cher fils,

je n'ai pas eu de tes nouvelles depuis quelques jours, sache que cela m'inquiète et surtout que ça ne doit pas se reproduire. Combien de fois dois-je te le répéter ? La maison paraît si vide, sans toi, et tu me dois bien cela.
Ton père rentre enfin demain, aujourd'hui est son dernier jour en tant que militaire actif, j'espère que tu penses à lui téléphoner.
J'ai d'ailleurs entendu dire lorsque j'ai appelé ton Commandant en chef que tu avais eu un accident, il n'a pas voulu m'en dire plus, mais voyons mon fils, pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ?
Je me souviens encore, comme si c'était hier, de mon petit garçon avec ses lunettes bancales. Cette époque où tu étais toujours près de moi et que nous passions tout notre temps ensemble. Rien n'avait l'air difficile pour toi, tu as toujours été si admirable. Et maintenant, tu marches enfin dans les pas de ton arrière-grand-père. Je suis si fière de toi.
J'espère que tu penses à te laver les dents tous les soirs, et que tu manges sainement.
Je n'ai pas grand chose d'autre à te dire, j'attends seulement que tu répondes à mes deux précédentes lettres.

A toi, mon amour,
ta mère, Amalia Saülh. »

Je pose la lettre à mes pieds et lève les yeux vers le soleil couchant. Là, assis contre le mur de la caserne, je me sens chez moi. Je coince une cigarette non allumée entre mes dents et regarde une nouvelle fois la lettre. « J'ai vingt-huit ans, maman... C'est pas vrai... » J'essaye de savoir de quelles lettres elle parle, mais elle m'en envoie tellement, et j'ai l'impression qu'elles se ressemblent toutes, alors je ne sais même pas de quoi elle parle. J'ai presque envie de prendre sa propre lettre et d'y écrire une réponse au dos, de deux lignes, histoire que cette histoire soit réglée. Mais je sais que je vais plutôt attendre ce soir, et lui écrire une de ces longues lettres dont je dois me creuser la tête pour raconter quelque chose de nouveau depuis la semaine dernière. Je me redresse et fais une grimace, la douleur dans mon dos est encore là. Qu'est-ce qu'elle a été appeler le Commandant ? Et comment a-t-elle fait pour avoir son numéro ? Je souffle ostensiblement, elle m'étouffe encore, même à des milliers de kilomètres de moi. Mon pansement dans le cou me gratte, mais je me retiens d'y toucher et passe doucement mes doigts dessus. Je vais devoir aller m'excuser auprès du Commandant pour le comportement stupide de ma mère. Le pire, c'est qu'elle a réussi à avoir son numéro alors que moi je ne suis même pas sûr de pouvoir obtenir un rendez-vous. Si je lui avais dit pour l'accident, elle serait venue me chercher elle-même et ne m'aurait plus jamais laissé sortir du Manoir. Je ferme les yeux et l'imagine débarquant, affublée d'un de ces chapeaux dont elle pique les modèles à la Reine, et hurler à qui veut l'entendre qu'on lui apporte son fils sur le champ. Un petit sourire étire mes lèvres, et je passe une main dans mes cheveux, me laissant aller à les ébouriffer, ne risquant pas de reprendre le service avant plusieurs semaines. J'allume ma cigarette et joue pendant plusieurs secondes à faire tourner le briquet entre mes doigts. Une fois lacé, je tire une bouffée sur ma cigarette et lève les yeux vers le soleil qui disparaît lentement. Je ne devrais pas me trouver dehors, étant donné mon état, mais contrairement à ce que pensent les médecins, je me sens mieux que je ne devrais. Pour une fois, ne pas faire ce qu'on me demande a du bon. Et dire que je transgresse des ordres pour une cigarette. J'ai un peu honte. Le Manoir, ce lieu où j'ai grandi, me paraît totalement étranger maintenant. Il n'a plus rien pour m'attirer, il ne me rend pas le moins du monde nostalgique. Là-bas, ce n'était que solitude et famille, c'était comme un petit monde où il y a avait tout le nécessaire pour vivre, et donc pas besoin d'en sortir. Je ne me souviens même plus si j'étais heureux ou non à cette époque. Il n'y a rien de moins vivant que ce lieu. Ni même ma mère ou mon père ne pourrait me donner l'envie d'y retourner. L'armée, ça, ça insuffle de la vie à mon existence. Même si j'ai failli mourir il y a à peine dix jours. Jamais je ne suis senti aussi vivant. Tout m'est inconnu, et je me rends compte que c'est de ça dont je pourrais être un jour nostalgique. L'inconnu, l'étranger, l'extérieur, tout ce qui n'a pas encore été conquis, découvert. Je vis enfin la vie que j'ai choisi de mener.

	♫
You did not break me i’m still fighting for peace

J'attends, assez stressé, mon pieds tape au sol, sans rythme, de façon totalement inégale. Je n'ai pas l'impression que ça me calme réellement, mais lorsque j'arrête, je me sens encore plus stressé qu'avant. La porte du bureau s'ouvre, et je bondis sur mes pieds. Il n'y a rien de pire pour montrer qu'on est nerveux. Je salue militairement l'homme qui se présente devant moi. « Repos, Lieutenant. » Je hoche la tête, laissant mon bras retomber le long de mon corps. « Bien, Mon Colonel. » L'homme, les cheveux grisonnant, et le regard dur, me rappelle sans conteste, mon père. Il me fait signe de le suivre, et, une fois dans la pièce, il me montre le fauteuil du doigt, alors qu'il prend place de l'autre côté du bureau. Un cadre photo se trouve dos à moi, et je me demande si ce sont des photos de sa femme ou de ses enfants. Il me scrute, assis bien droit dans son fauteuil. « Anthelme Callum Saülh... » Je déglutis discrètement, et croise les mains sur mes genoux. « Oui, Mon Colonel. » Il attrape un dossier devant lui, déjà ouvert, je suppose que c'est le mien. « Un parcours sans faute, depuis la naissance. Et un nom qui vous précède. » Il relève les yeux et me scrute une nouvelle fois. Je peux sentir son regard me juger, voir même me tester. Mais je ne laisse rien paraître. Je ne pense pas moi-même qu'il essaye de me toucher avec cette histoire, depuis le temps que je me la traîne comme un boulet. « Oui, Monsieur. Et je suis fier de le porter. » Il hausse un sourcil. Je sais que cet homme, bien que je ne l'ai rencontré que quelques fois, me connaît déjà très bien grâce à mon dossier. Mon oreille droite bourdonne, mais j'y suis déjà assez habitué pour ne plus me laisser distraire. L'homme est sûrement persuadé que je dois actuellement me creuser la tête pour savoir la raison de la convocation dans son bureau. Mais il se trompe, je sais pourquoi je suis ici. « Vous vous êtes bien remis ? » Je ne comprends pas tout de suite ce qu'il veut me dire, mais il pointe son index sur son propre cou, comme pour signifier maladroitement quelque chose. « C'est quand même assez voyant. » Alors il fait allusion à mon accident ? J'ai presque le réflexe de passer une main sur les brûlures à mon cou, cicatrices de cette explosion d'avion en plein vol pendant un entraînement, il y a de ça un an et demi. « Je vais très bien, Monsieur. » Il acquiesce, et se replonge dans sa lecture. Je me doute également qu'il n'a pas besoin de lire le dossier. Ce qu'il recherche actuellement ne peut être mentionné dedans. Il veut savoir si je suis aussi bon que ce que ces écrits ne démontrent, il veut savoir si je serai bon dans le futur. « Il est mentionné que vous n'êtes pas marié. Pas de petite-amie non plus ? » Je me contente de faire non de la tête. Il n'y a pas à s'étaler là dessus. Ma dernière aventure remonte à déjà plusieurs années, les tentatives de rendez-vous arrangés par ma mère ne comptant pas. L'homme ferme le dossier et me regarde longuement dans les yeux. « Vous n'êtes pas un grand bavard, c'est bien. Vous savez déjà pourquoi je vous ai fait venir, n'est-ce pas ? » Il a l'air à la fois amusé et irrité. Du coup, je prends mon temps pour chercher ma réponse, laquelle serait la mieux appropriée. « Oui, Monsieur. » Je me rends compte que mon visage a été de marbre tout le long de notre entretien, mais c'est aussi ma réputation, et j'aurais peur que cela devienne bizarre et mal-interprété si je me mettais à sourire maintenant. « Alors plus la peine de perdre notre temps, Capitaine. » Je sens quelque chose bouillir au fond de moi, et je me rends compte qu'en ce moment, je suis heureux, en vie, loin de mon fardeau. L'homme ne cesse de me fixer, et soudain mal à l'aise, sentant le rouge me monter aux joues, je baisse les yeux en me mordant la lèvre.