Les mains crispées sur le guidon de sa moto, Liam tentait de survivre aux flots continus de souvenirs qui venaient le hanter. Lui qui fut élevé depuis son plus jeune âge pour prendre la relève de son père, Henry Wellington, au même titre que son frère, venait une bonne fois pour toute de mettre fin à cet espoir familial. Pourtant il ne fut pas malheureux, toute son enfance il a toujours eu tout ce qu’il voulait : de l’attention, de l’amour, des cadeaux, des filles… De quoi combler n’importe quel être humain. Mais voilà il savait cette vie surfaite, à l’écart totale de la vérité d’un monde qui croule plus sous les guerres et les criminels que sous les immenses repas emplis de joie que Liam avait toujours connu durant son enfance. Bien entendu, dès l’instant même où il revendiqua son ambition de devenir quelqu’un d’utile pour l’Amérique, ce fut tout un tas de reproche qui lui tomba dessus. Son père ne cessait de lui répéter qu’il y avait assez de péons dans ce monde pour le faire, que la famille Wellington était depuis des lustres destinée à accomplir de grandes choses,  et par là il entendait enrichir l’Amérique au même niveau que ses comptes en banque et que son cul, bien que ce dernier soit déjà assez gras, et qu’il était intolérable qu’un de ses fils participe à de tels choses. Là encore sa mère préférait ne rien dire, restant en retrait de tout conflit, continuant de manger comme si ses oreilles n’avaient jamais pu entendre de telles atrocités venant de la bouche de son fils adoré. Et si papa Henry pouvait renier Liam pour ses paroles, il est une chose dont il ne pouvait douter : son fils avait exactement son caractère. Or le caractère d’un Wellington est à peu de chose prêt celui là même que toute personne venant de la classe moyenne pouvait détester. De l’arrogance, Liam en avait, et ce fameux midi il en avait à revendre. Face à un père qu’il avait toujours admiré, il ne vit plus que du dégoût lorsque celui-ci se posta devant lui pour lui avouer, en postillonnant, qu’il n’avait plus qu’à quitter cette maison s’il ne voulait pas faire honte une minute de plus à cette famille. Chose dite, chose faite, Liam n’avait pas réfléchi bien longtemps. Ce fut sans compter sur sa mère, qui discrètement avait tenté de le retenir. « Ce lui passera Liam, comme d’habitude. » Elle avait laissé glisser sa main sur la sienne, espérant certainement que cela changerait quelque chose. « Et combien de disputes avant qu’il ne comprenne que je ne suis pas son objet ? ». Liam venait d’avoir vingt cinq ans, le mois dernier il avait obtenu son diplôme universitaire en finance pour suivre les traces de son père et reprendre un jour l’affaire familial. Mais tout ça il n’en avait jamais rien décidé, non tout avait toujours été orchestré par Henry, et ce depuis sa naissance. « Junior fera un bon Trader mère. Certainement meilleur qu’Henry ». Elle avait alors posé ses yeux inquiets sur Liam, tentant de retenir d’éventuelles larmes. « Et toi, tu vas faire comment ? » Et c’était là tout le truc. Sa mère ne voulait pas voir son fils chéri partir. Non elle aurait simplement aimé le couver encore et encore. « Je me débrouillerais. » Sur ces dernières paroles, Liam déposa un tendre baiser sur le front de Camélia puis sortie de l’immense demeure dont il ne savait pas si un jour il reverrait la façade qu'il avait toujours trouvé réconfortante.

Le soleil au loin se couchait, enveloppant New York d’un dernier éclat avant de laisser apparaitre dans un ciel rosé les premières étoiles scintillantes. Liam enclencha l’embrayage, et d’un mouvement de poignet accéléra la moto. Il n’avait pas envie d’être celui qui renoncerait. Il n’avait pas envie de vivre cette vie où rien ne pouvait vous atteindre tant qu’un gros billet pouvait vous protéger de tous les malheurs possibles. Non il voulait voir le monde, se mêler à la routine de ses habitants, découvrir ce que c’était réellement que de vivre. Et tout ça, il allait le découvrir à Quantico en Virginie à la FBI Academy. Certes, Liam ne possédait aucune expérience professionnelle en tant que flic ou autre, mais il était assez intelligent pour réussir les tests d’entrés physiques et psychologiques puis user de son charisme pour persuader les recruteurs qu’il n’y aurait pas meilleur élève que lui. Ce fut alors trois ans d’entrainements intensifs, soit cent cinquante six semaines de filature, de tirs et d’apprentissage, qui commencèrent. Liam s’en sortit meilleur dans les combats rapprochés et la filature. Il était doué, tout le monde aimait à le dire. Et pour la première fois de sa vie, il se sentait fier de réussir quelque chose pour laquelle il s’était battu. Mais son fort caractère en prit un coup. Ici il n’était pas plus important que les autres comme on l’a toujours laissé croire, non il était l’un des leurs. Et faire partit d’un groupe était tellement nouveau pour lui, qu’il prit méchamment plaisir à aimer ça. Savoir que devant vous quelqu’un était prêt à se prendre en premier la balle afin de vous laisser vivre, ça n’avait tout simplement pas de prix. Mais il est des choses que l’on ne voit pas venir. Des passages dans notre vie que l’on s’imagine en rien possible. Et pourtant… Il suffit d’une infime seconde, d’un faux petit pas pour qu’une immense réaction en chaîne vienne à vous faire détester la personne même que vous êtes devenu. 

Automne 2009, Liam est fraichement diplômé d’une formation d’agent du Federal Bureau of Investigation avec comme spécialité le contre espionnage. Ca lui plait. Inutile de le nier. Tellement que la première chose qu’il fut, fut de mettre Camélia au courant par téléphone. « Mère ? J’ai obtenu la formation. Ton fils fait désormais parti du FBI ! » Bien que la distance était considérable entre les deux, il savait qu’au bout du fils sa mère souriait. Qu’elle était fière que l’un de ses enfants ne soit pas obligé de suivre une route toute tracé. « Mon grand garçon ! Si tu savais comme je suis contente pour toi ! ». C’est à cet instant qu’il se rendit compte qu’il ne s’était pas préoccupé, en trois ans de savoir ce qu’ils devenaient, là bas à New York. De savoir si tout allait bien pour eux. « Junior va bien ? ». Un long silence s’installa, ne laissant que les interférences passées. Junior n’a jamais été son vrai prénom, disons qu’il a reçu ce surnom dès l’instant où son petit nez est apparue au monde. Henry voulait une copie conforme de lui, ce qu’il en a obtenu a dépassé ses espérances. Un fils avec encore plus d’ambition, plus de hargne, plus de charisme, plus d’autorité qu’aucun Wellington n’a encore pu se vanter d’avoir. Voilà ce qu’était Junior, un lion parmi les brebis. « Ne t’en fais pas pour lui. Il tient de ton père. D’ici deux ans, il remplacera Henry dans l’entreprise. Tu sais qu’il a déjà réussi à tripler les bénéfices depuis qu’il travail en tant que Trader ? Ton père est fier de lui. » Et dès que Camélia termina sa phrase, Liam ressentie tout le désespoir qu’elle renfermait en elle. Elle n’était pas heureuse dans cette famille, il le savait. Plus souvent seule qu’accompagnée Camélia restait pourtant cette femme forte au caractère bien trempée. Et c’est ce qui faisait que Liam l’admirait tant. « Parce que tu crois vraiment qu’Henry délaissera son rôle de directeur ? Il n’a jamais eu que le travail pour vivre, c’est sa seule véritable fierté. Et tu le sais autant que moi, il ne laissera sa place véritablement que quand il y passera. » Intérieurement, Liam espérait que ce moment arrive plus vite que prévu. Pour que sa mère puisse enfin espérer refaire sa vie. Mais il savait que la relève serait pire. Parce que si Henry n’était pas un enfant de chœur, Junior était bien pire… « Je sais mon grand, je sais. Bon il faut que je te laisse mon chéri, ton père m’appelle et tu sais comment il est quand il n’obtient pas ce qu’il veut ? Je t’aime, prends soin de toi d'accord ? Et si un jour tu passes par New York… ». « Je passerai vous voir, promis. Je t’aime. » Puis de nouveau ce fut le silence. Un de ces silences qui vous glaçait le sang, vous empêchant de respirer convenablement.

Une année s’est écoulée. Liam a réussi à intégrer une des 380 agences locales des Etats Unis. Il est le petit nouveau d’une équipe déjà bien soudée. Et pour tout dire, ce fut un moment véritablement difficile pour lui. D’après ses collègues, il a parfois tendance à être trop impulsif voir trop colérique sur les enquêtes. Cependant, bien qu’après quelques avertissements, une grosse affaire leur fut confiée par le Département de la Justice des Etats-Unis. Une de celle qui bien menée à bout pouvait vous propulser sur les premières marches du podium. Il s’agissait simplement d’infiltrer un groupe qualifié de suspect pour la protection du pays. Un groupe qui avait assez de puissance pour infiltrer la Maison Blanche si celui-ci devenait trop important. Et le Département de la Justice espérait que le FBI face ce qu’il faut pour l’arrêter avant. Les premiers mois se déroulèrent parfaitement, Liam jouait son rôle de Russe cynique et taciturne parfaitement. Il lui suffisait seulement d’envoyer toutes les quatre heures un rapport complet des agissements d’un certain Raspoutine. (Nom de code en référence au pèlerin Raspoutine de Sibérie, confident de la reine Alexandra et du Tsar Nicolas II). Il aimait ça, jouer. Mais derrière tout cette mascarade, pas une seconde il était amené à penser ce qu’il allait découvrir. Et quand ses coéquipiers lui avaient clairement demandé de ne pas être trop curieux par peur de se faire découvrir, Liam n’entendait déjà plus. Là, devant lui, dans cette salle accolée à celle d’écoute de la Maison Blanche, ce tenait tellement d’armes. Des bombes, des fusils, des bazookas… Assez pour détruire non pas seulement l’endroit où se trouvait le Président, mais la ville toute entière. Et imaginez ça : La Russie parvenant à détruire Washington, le Président mort. Les Etats Unis affaiblis, il ne lui reste plus qu’à envoyé un convoie assez important de soldat Russes pour prendre le contrôle de la ville. Et une fois ce dernier fait, c’est un comme un poison qui part du cœur. Ca s’infiltre de partout et il ne reste plus qu’à prier pour que cela prenne le plus de temps possible. Et Liam resta ainsi un long moment durant, les mains tremblantes, le cœur s’emballant, les sens constamment en alerte. Parce que cela ne pouvait être possible, que le monde n’était pas enclin à devenir cette farce qui se déroulait sous ses yeux et qu’il aurait aimé se réveiller une bonne fois pour toute. Son père avait sans doute raison, ils n’avaient pas besoin de lui, pas besoin d’un homme comme lui manquant cruellement d’aplomb. D’autres auraient su quoi à faire à ce moment, d’autres auraient prit les bonnes décisions. Mais pas lui. Parce qu’il était encore bien trop ignorant, trop jeune, trop impulsif et que lorsque la porte s’ouvrit avant de se refermer dans un claquement sec, il n’hésita pas une seule seconde avant de dégainer et de tirer. Comme on le lui avait si bien apprit à le faire… Il sentit la sueur perlé sur son front, son échine frissonnée, son corps se raidir. La masse qui se trouvait quelques secondes auparavant derrière lui, s’effondra sur le sol avec violence. Son oreillette se mit à grésiller et bien qu’au début il ne parvint à en capter le sens, quelques secondes lui suffirent pour retrouver la raison : « Liam ! Le chef s’est dirigé dans la salle secrète. Repli toi, maintenant. » Mais il était déjà trop tard. Inutile d’aller voir qui gisait au sol dans une marée de sang. Il ne s’agissait là que de la seule personne dont Liam était censé garder en vie pour la remettre au gouvernement. « Je l’ai tué. » Il venait là de signer à son tour son arrêt de mort…

« Vous avez fait QUOI ? Agent Wellington ? Et regardez-moi quand je vous parle bon sang ! » Oh ça pour le regarder, Liam ne le lâchait pas des yeux. Sa corpulence réduite accentuée par sa largeur disgracieuse, le coulis gras de son beignet sur sa chemise, son manque de cheveux comblé par une prothèse capillaire. Tout en lui concordait avec le grade auquel il aspirait. Liam se doutait même qu’un homme tel que lui puisse un jour avoir eu accès au terrain et à toutes les conséquences que cela impliquait. Plus d’une fois, il s’était retenu pour ne pas balancer ses quatre vérités à ce gros plein de soupe, se mordillant la lèvre jusqu’au sang pour éviter un carnage de plus. « Auto défense Monsieur. » Et voilà tout ce qu’il pu sortir. Parmi tous les faits possibles, il n’avait trouvé rien de mieux que de définir l’acte qu’il avait commis par de l’auto défense. Personne n’avait été au courant de ce qui s’était réellement passé dans cette pièce, personne ne le saurait certainement jamais à vrai dire. Ce qu’il avait fait, il ne s’en voulait pas le moins du monde. Certes, Liam s’était soustrait aux ordres, mais il avait empêché le pire d’arriver. Le seul problème est : et si ça avait été un de ses coéquipiers ? Son manque total de sang froid aurait pu couter la vie à son équipe et à lui-même voir à la ville tout entière. « Encore heureux que c’était de l’auto défense Wellington ! Mais vous ne savez pas dans quel foutu bordel vous venez de me mettre. Je dis quoi moi au Bureau ? Que l’homme qu’ils voulaient interroger ne pourra hélas plus dire grand-chose ? Je vais avoir toute une enquête sur le dos Wellington ! Mais ça bien sur vous vous en foutez aussi !! » Il criait. Sans doute plus pour lui-même que pour Liam. Lui en revanche se contentait de l’observer en silence, attendant la sentence. Parce qu’il le savait, il y en aurait une. « Vous avez de la chance d’être un bon élément vous savez ?! Et des gars comme vous on en manque cruellement en ce moment. Mais je ne peux vous laissez continuer le travail. Pas sous mon autorité et encore moins dans cette section. Le Bureau central n’approuverait certainement pas une telle chose. » Sa tête ne cessait d’aller de gauche à droite, ses joues rosies aspiraient au rouge, et ses yeux avaient l’air plus peinés qu’en colère. Liam aurait du protester, il savait que c’était le bon moment, mais pour dire quoi au juste ? Qu’il était désolé ? Bien sur que non, et puis son éducation était-elle qu’il ne se serait jamais rabattu à ce genre de discours. « Je vous renvoie en Virginie, Wellington. Vous allez suivre une seconde formation, celle de Marshall. Ils recherchent des gens expérimentés pour un poste spécifique. Protection de témoin. Vous ferez l’affaire j’en suis sur, essayez juste de ne pas tuer le témoin cette fois, compris ? » Ses yeux jaunis par le tabac et l’alcool se plantèrent dans les siens. « Entendu Monsieur. » Puis un hochement de tête mit un point final à toute discussion. Liam venait de terminer sa carrière en tant qu’agent du Fbi, celle pour laquelle il avait tenu autant tête à son paternel. Deux choix se présentaient alors à lui : accepter de devenir Marshall, ou bien rentrer la queue entre les pattes et suivre son frère pour faire de l’entreprise familial une multinationale. La deuxième option était à exclure certes mais Marshall ? Il valait bien mieux que ça…