Sofie a un « ha ! » victorieux tout en sortant d’un vieux carton un album photo encore un peu poussiéreux. Elle a un signe de la main en direction de son frère pour lui dire de se dépêcher à venir à côté d’elle et dès que son nounours de frangin est assit par terre, elle lui pose l’album sur les genoux, farfouillant rapidement dans ce qui reste à l’intérieur du carton. Une vieille peluche à laquelle il manquait un œil entre autre chose... Il aurait sans doute fallut la jeter mais sans être une amasseuse compulsive, Sofie avait du mal à se séparer de ses vieux souvenirs. Ce lapin là avait quand même toute une histoire à ses yeux. C’était celui de son frère, que leur père lui avait offert à son premier anniversaire. Lorsque Sofie était né, à la maternité de Rodovre, Aleksander avait donné cette jolie peluche bleue pour qu’on la mette dans son berceau. Du coup il y avait même encore le bracelet de naissance accroché à la peluche avec son nom et la date du 17 décembre. Rien qu’à la lire, Sofie a un petit frisson. Pas de la peur, rien à voir ! Plutôt un frisson froid parce qu’au Danemark, l’hiver et si proche du solstice, les températures étaient généralement peu clémentes.

L’infirmière a un regard pour le côté de la boîte qui indiquait qu’elle lui appartenait... Et son attention est reportée sur Aleks qui l’interpelle en lui montrant une photo. Le visage de Sofie s’éclaire rapidement et un sourire tendre apparaît sur ses lèvres. Une vieille, très vieille photo même si tout était toujours relatif bien entendu. Toute la petite famille venue voir un match de hockey. Leur père était entraîneur, il portait un très joli complet très pro et affichait une petite mine sévère de circonstance parce qu’il était au travail. Une fois au foyer, c’était en fait une vraie crème ! Il semblait sans âge, les quelques fils blancs dans ses cheveux se mélangeant à sa tignasse blonde pour mieux se dissimuler... Ses yeux bleus étaient fixés sur l’objectif, attentifs, et Sofie a un petit rire en se voyant dans les bras paternels avec ce même regard bleu très concentré. Elle devait avoir trois ans, quelque chose comme ça, et une belle tâche de chocolat sur la joue, vestige de la pâtisserie qu’elle tenait encore dans une de ses mains. A côté se tenait sa mère, Freja. C’était une jolie femme typé nordique. Grande, blonde... Et des traits qui pouvaient tout aussi bien refléter une immense douceur qu’une grande sévérité ! Elle était professeur d’anglais dans un grand lycée et déjà à l’époque elle avait pour ambition de déménager et de s’établir dans un pays anglophone, supportant de moins en moins le climat. Son regard sur la photo était bienveillant et aussi vert et pétillant que celui de son grand frère qui lui tenait la main. Il souriait autant avec la bouche qu’avec les yeux et pour ses cinq ans bien tassé semblait déjà plus grand que la moyenne !

Les photos à côté de celle-ci évoquaient toutes quelques anecdotes sur les années qui suivirent. C’était sa petite enfance entre les été chaud mais pas étouffant, les baignades un peu fraîche sur le lac, les parties de hockey sur gazon, les chamailleries et les réconciliations avec Aleks... Sofie attrape même une photo en particulier, la retirant un instant de le pellicule protectrice. On l’y voyait toute piteuse, les yeux encore rouge d’avoir pleuré, ses cheveux blonds et court en bataille. Elle devait avoir quelque chose comme huit ou neuf ans. Sofie avait une marque de griffure sur la joue et son t-shirt, sur l’épaule, avait une petite déchirure. Mais rien à voir avec l’allure d’Aleks ! Grand gaillard pour ses dix ou onze ans, son aîné si calme et doux avait cette fois un air profondément boudeur et contrarié. Il portait des marques de bagarre sur le visage et les bras mais contrairement à ce qu’on aurait pu croire, c’était un souvenir cher à son cœur. A l’époque, c’était Sofie qui cherchait les embrouilles plus ou moins malgré elle et lorsqu’elle les trouvait, c’était Aleks qui venait se mettre entre ces dernières et elle. Protecteur ? Absolument ! Et c’était un trait de sa personnalité qui n’avait pas changé, sans doute.

La photo est replacée et Sofie continue d’observer le défiler des époques et des saisons. Les hivers n’étaient pas si froid qu’on le pense souvent, allant peu dans les valeurs négatives. Ils étaient en revanche gris et long, détruisant un peu le moral de sa mère qui, chaque hiver, revenait à la charge avec ses cours d’anglais pour Aleks et elle. D’une certaine façon, Sofie remercie sa mère d’avoir tant insisté !

Sofie relâche l’album, en revenant plutôt au carton, attrapant un vieil agenda très « girly », preuve à lui tout seul que la petite fille un peu garçon manquée sur les bords avait pas mal changé à l’adolescence. Elle l’ouvre rapidement, trouvant quelques mots en danois, avec une orthographe pas toujours très appliquée et écrits avec un stylo bien rose, assortit de quelques paillettes. C’était limite cliché et malgré les bons souvenirs que ça lui amène, Sofie plisse un peu le nez en grimaçant. Ca venait de sa meilleure amie lors de sa dernière année d’école au Danemark. Elle avait quatorze ans et pour elle c’était clairement la fin du monde ce déménagement. Elle avait pleuré, menacé ses parents (d’elle ne sait même plus quoi avec le recul) et avait même proposé de partir vivre chez son oncle plutôt que d’immigrer avec la famille. Mais la décision était prise et en fait, les démarches obligent, elle était même amorcé depuis presque deux ans. Le message dans l’agenda promettait de ne pas l’oublier, qu’elles étaient les meilleures amies, tout ça... Il y avait même une de ces photos instantanées glissée entre les pages, représentant deux adolescentes habillées d’une mode dépassée, cheveux mi-long dans son cas et long pour Katrine, son ami. Elles souriaient et on voyait tout l’appareil dentaire de Katrine, ce qui la fait un peu rire.

Du coup, après l’agenda, Sofie trouve les lettres que sa vieille amie et elle avaient échangé dans les premiers temps. Il y en avait quand même toute une pile. Sofie ne fait qu’en sortir quelques unes de leurs enveloppes pour en lire quelques lignes en diagonale... Mais c’était difficile de savoir de quoi elles parlaient exactement sans avoir ses propres lettres parfois. Au travers il y avait des messages d’encouragements. C’est vrai que Sofie avait eu du mal à s’habituer à sa nouvelle vie. Elle avait un mal être culturel probablement naturel et à l’adolescence, on se rebelle facilement. Alors peut être qu’elle était encore un de ces clichés adolescents oui... Par chance, sans être extrêmement populaire dans son nouvel établissement scolaire, elle y fut néanmoins bien accueillit et eu même l’occasion de se distinguer quelques fois. Le cygne avec son vieux plumage style « petit canard » avait évolué vers une jeune femme plus jolie sans doute, avec plus de formes, plus d’idées de ce qu’elle voulait être et faire. Son anglais s’était perfectionné sans quitter tout à fait cet accent danois qui lui était natal...

A parler d’école, Sofie relâche les lettres pour s’intéresser à son diplôme de fin d’étude qui traîne là. Lors de son arrivée en Amérique, ses notes n’avaient pas été fameuse... Mais avec un petit coup de pouce de ses parents et de son frère et via une stabilité qui s’imposait dans sa vie, elle avait redressé la barre, poursuivant une scolarité non pas brillante mais normale, retrouvant de bonnes notes et un certain goût pour les études.

A cette même date, son frère était déjà inscrit à l’armée depuis deux ans. D’ailleurs, Aleks semblait pensif en observant une photo de sa remise des diplômes où il avait eu une brève permission. Il était dans son treillis militaire a la serrer dans ses bras et il avait presque l’air plus fier qu’elle en brandissant le poing de sa main libre !

Ca laissait Sofie tout aussi pensive... Parce que cette décision que son frère avait eu avait eu un gros impact sur elle comme sur leurs parents. Ils étaient au pays depuis même pas un an quand Aleks avait demandé la permission à ses parents d’aller aux cadets. Ils s’y étaient vivement opposé et Sofie se souvenait assez nettement de ces longues, très longues soirée à table à débattre du sujet, jusqu’à ce que quelqu’un se fâche et mette un terme à la discussion. Son père, pour l’extrême majorité du temps. Aujourd’hui il était fier de voir ses deux enfants servir ce pays dans lequel ils avaient cru pour refaire leur vie mais à l’époque, avec toutes ces menaces du moyen orient et d’ailleurs, il avait eu peur. Avec le recul, même Aleks ne devait même plus leur en vouloir, si ?

En tout cas, elle avait décidé d’être infirmière. Des études mi-longues, un peu coûteuse pour ses parents peut être... Et le pompon ça avait été lorsqu’Aleks avait voulu les en soulager en payant ses études. Du coup, comme si elle avait encore un peu de son esprit rebelle et électron libre, Sofie avait décidé de demander plutôt une sorte de bourse militaire. Enfin... C’était pas ça évidemment. Mais c’était comme ça qu’elle l’avait appelé sur le moment. Ses parents avaient faillit avoir une attaque... Son frère avait été plus posé, lui expliquant que ça devait être une vocation, pas une énième bravade d’une jeune adulte qui faisait une rechute dans une crise d’adolescence sur le retour. Mais elle avait insisté, tenue bon... Et si la vocation n’était pas là à la toute origine, elle s’était développé jusqu’à finalement s’installer et s’ancrer profondément en elle. Sofie aimait son travail, toutes cette organisation millimétrée, ce soutien qu’ils pouvaient apporter et bien sûr, elle n’allait pas le nier : ces soins qu’elle avait l’impression de pouvoir apporter à son aîné en cas de pépin.

A côté d’elle, Aleks a refermé l’album photo après en avoir retiré une petite dizaine. Un projet qu’ils avaient pour l’anniversaire de mariage de leurs parents. Elle-même vient remettre dans le carton un peu tout ce qu’elle a dérangé. Des souvenirs qui s’entassaient sur d’autres souvenirs. Des madeleines qui faisaient parfois remonter à la surface de vieilles histoires qu’elle croyait oubliées...

Sofie se lève, époussetant un peu son jean d’une main avant de faire un sourire clair à son frère. Ils faisaient un peu partit de cette jeunesse déracinée, immigrée plus ou moins avec leur accord... Mais l’Amérique faisait entièrement partit d’eux à présent et nul ne pouvait prétendre qu’ils ne lui rendait pas ce qu’elle leur avait donné, n’est-ce pas... ?