« Teddy chéri, tu ne viens pas dire au revoir ? » Son père se tenait sur le seuil de la porte de sa chambre et Théodore pouvait sentir le poids de son regard sur lui. Le mouvement de balancier de ses pieds se calma mais il garda les yeux farouchement visés aux comics étalés devant lui. Installé sur une couverture à plat ventre, il avait essayé d’ignorer l’agitation qui régnait dans la maison depuis le début de la matinée. Les voix d’amis de ses parents qui lui parvenaient d’un peu partout, le bruit d’objets que l’on déplaçait, de cartons que l’on fermait. Il imaginait très bien où sa mère devait se trouver maintenant. A l’avant de ce pick-up qui appartenait à son collègue et plus proche ami, le major Watson. Pendant des années il avait vu cette voiture se garer à l’orée de leur allée de parking et sa mère y grimper sans un regard en arrière. Cette fois il savait qu’elle partait pour de bon. Les seuls témoins de son appartenance à cette maison, les quelques affaires qu’elle laissait traîner venaient d’être emballées. Il savait qu’elle devait se tenir bien droite sur son siège, le regard porté vers l’avant et qu’il aurait le droit tout au plus à poser une bise sur sa joue. Il ne parvenait pas à se souvenir de la dernière fois où elle l’avait pris dans ses bras pour le câliner et pourtant il se souvenait parfaitement du nounours qu’il traînait partout avec lui quand il avait à peine deux ans. Pas que sa mémoire lui fasse défaut, mais plutôt qu’il avait grandi avec une étrangère sous son toit et que la blague semblait enfin achevée.
« Non. » le mot fusa de sa bouche avec fermeté alors qu’il sentait sa gorge rétrécir encore et encore et le souffle lui manquer. Il était surpris lui-même par la force qu’il avait réussi à mettre dans ce mot. Il sentit que son père s’attardait encore, cherchant sans doute quelque chose à ajouter mais il tourna vers lui un regard noir de colère, noyé par les larmes. La seule chose dont il fut conscient ensuite, ce fut les bruits de ses pas qui s’éloignaient ensuite.
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« Doucement champion on va réveiller tout le monde… » La voix de Theodore n’était qu’un souffle. Et le gloussement de réponse d’Arsène fit dégringoler un frisson le long de sa colonne vertébrale. Ils avaient tous les deux bu, et l’adrénaline du concert qu’ils avaient vus, couplée avec le fait d’avoir fait le mur et de s’être enfuit par la fenêtre courait toujours dans leurs veines. Les lèvres d’Arsène effleurèrent les siennes, et il y retrouva le goût de la bière. Il se sentit attrapé par le col, puis poussé dans le lit. Le lit, la chambre d’adolescent d’Arsène alors que ses parents et sa sœur dormaient à quelques mètres de là. Ils avaient à peine 17 ans et toutes les folies du monde dans la tête. Le lit grinça sous leur poids et ils pouffèrent avant qu’un gémissement ne s’échappe des lèvres de Theodore. La bouche, les mains d’Arsène et il perdait complétement pied. Il sentit le corps de son petit ami vibrer contre le sien et il sut qu’il riait.
« Je croyais qu’on devait faire doucement Teddy. » le taquina Arsène. Theodore grogna en réponse et chercha ses lèvres avec avidité, ses paumes caressant son dos en faisant remonter son t-shirt pour le lui ôter. Impatient, grisé, il voulait le contact de sa peau contre la sienne. Ils se perdirent rapidement dans leurs caresses jusqu’à ce qu’Arsène se fige dans ses bras et murmure contre ses lèvres.
« Y a quelqu’un qui… »Avant que Theodore ne comprenne quoi que ce soit, il était éjecté du lit pour atterrir sur le matelas installé à son pied, qui était installé là quand il dormait chez les Duval, environ 90% du temps. Un leurre alors qu’ils partageaient invariablement la même couette. La porte de la chambre s’ouvrit brusquement sur la mère d’Arsène, tout en peignoir et bigoudis. Elle n’avait pas l’air fâchée, juste passablement perplexe qu’ils fassent un tel boucan alors qu’ils étaient partis « se coucher » des heures avant.
« Doucement les garçons vous allez me réveiller tout le monde. » Et aussi vite qu’elle était apparue, elle disparut.
Une fois la porte close, Theodore ne put s’empêcher d’éclater de rire. Suivi bientôt par Arsène dont la tête fini par apparaître au-dessus de lui.
« Ca va tu t’es pas fait mal ? » Et à repenser au vol plané de Theodore ils se mirent à rire de plus belle.
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« Arsène, tu viens m’aider pour la salade s’il te plaît ? » La mère d’Arsène passa comme une bombe dans le groupe des hommes qui s’était agglutiné autour du barbecue qui surveillait avec nonchalance la cuisson de la viande sur le grill tout en bavardant et riant. C’était un rituel du dimanche auquel Theodore était toujours convié et ce depuis les débuts de son amitié avec Arsène. Et qu’il adorait, même si maintenant ils devaient faire la route depuis Montgomery pour y venir. C’était toujours des moments remplis de rires et de complicité. Avec les années, il faisait pratiquement parti de la famille et la matriarche le prouva encore une fois quand elle passa à côté de lui et lui pinça la joue avec tendresse au passage. Arsène s’excusa et la suivit à la cuisine et le silence s’installa doucement entre les deux hommes qui étaient restés dans le jardin. Le père d’Arsène était un homme plus réservé mais qui n’aimait pas moins ses enfants pour autant. Theodore s’était toujours sentit privilégié d’être aussi bien accepté au cœur de cette famille. Si aller chez son père avait été plus simple pour eux au début de leur histoire, car ils étaient plus souvent seuls à la maison, c’était ici qu’ils se sentaient le mieux.
« Tu sais Teddy… » La voix du père lui paraissait lointaine, et surpris par le ton peu commun qu’il avait adopté, Theodore recentra son attention sur lui.
« Quand on devient père, une seule chose importe… Le bonheur de ses enfants. Je me suis beaucoup inquiété ces derniers mois pour Arsène. Quand il a dit… Pas parce qu’il est différent tu vois. C’est toujours un choc pour un père parce qu’on sait que tout sera plus difficile. J’ai lu ce bouquin, tu sais, avec ces deux hommes dans la montagne. Je partage leur peur de l’autre. J’ai lu d’autres choses… » Il fit une pause, comme s’il cherchait ses mots et il secoua la tête comme s’il essayait de chasser certaines pensées de son esprit.
« Tu n’imagines pas à quel point j’admire votre courage… Je suis heureux que ce soit toi à ses côtés. Fils… » Il leva le bras, sa paume se refermant sur la nuque de Theodore qu’il pressa avec affection. Le jeune homme su que malgré les apparences qu’ils avaient voulues sauves en gardant deux chambres dans leur appartement, il n’était pas dupe.
Theodore entra dans la cuisine où Arsène s’affairait seul, bataillant avec les feuilles de salade qu’il remuait avec énergie. Il s’arrêta un temps pour l’observer. Le mouvement de ses muscles sous sa chemise, la concentration qu’il mettait à la tâche et il se retrouva bouleversé par ses sentiments. Il était encore chamboulé de la conversation avec son beau-père qui leur avait si généreusement donné sa bénédiction alors qu’il était celui dont Arsène redoutait le plus son avis. S’approchant il referma son bras autour des hanches de son compagnon, effleurant le lobe de son oreille avec ses lèvres avant d’embrasser sa nuque. Il le sentit s’abandonner un temps, avant d’être sur le qui-vive et regarder autour de lui.
« Teddy qu’est-ce que tu fais… » Il joua encore un temps avec ses limites avant qu’Arsène ne le repousse vraiment et jette un regard vers le jardin.
Theodore l’observait, avec un sourire en coin, ce qui lui valut une œillade courroucée d’Arsène.
« Il sait. » La confusion et l’étonnement se disputèrent à la peur dans les prunelles de son petit ami et Theodore décida qu’il ne pouvait pas le laisser se tourmenter une seconde de plus.
« Je crois qu’il se demande ce qui nous as pris d’attendre si longtemps avant de lui dire. Alors c’est lui qui a mis le sujet sur la table. »« Et ? » « Il est heureux pour nous. » Il lui sourit, et Arsène lui répondit par un sourire timide.
En revenant dehors, Theodore prit la main d’Arsène mais il sentit bien que sous le regard de son père, son compagnon était tendu et mal à l’aise. Il avait l’air d’avoir avalé quelque chose de travers ou d’avoir envie de détaler loin. Le malaise persista, jusqu’au moment où le patriarche porta un toast à ses trois enfants. Et qu’il donna une grande tape dans le dos de son aîné en s’esclaffant, faisant rire toute la tablée à sa suite.
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« Salut Princesse, j’ai eu ton message alors j’ai rappelé le plus vite possible. Comment tu vas ? » Comme chaque fois qu’il avait Lou-Anne au bout du fil, la voix de Theodore était joyeuse. Il l’avait vue grandir, elle était comme une sœur pour lui, et depuis quatre ans, elle était le seul lien tangible entre Arsène et lui. Au départ elle l’avait appelé pour le persuader de récupérer son frère, puis elle s’était résolue à une méthode moins offensive, abreuvant sans cesse Theodore de nouvelles d’Arsène pour qu’il continue à faire partie de sa vie. Elle n’arrivait pas à croire au gâchis qu’était devenu leur histoire.
« Lou ? » un silence pesant s’était installé à l’autre bout du fil, et malgré lui, la prise de Théodore sur le téléphone s’affirma.
« Il y a eu un incident Teddy. » La tête de Theo se mit à bourdonner et il sentit que l’air lui manquait. Lou-Anne continuait à parler mais il ne l’entendait pas vraiment. Il avait la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds et il se laissa tomber sur le premier siège qui lui venait. La voix de la jeune femme était un flot insipide qui l’entraînait au fond de l’eau et le faisait suffoquer. Il avait la sensation d’être en train de se briser. Rien n’aurait pu décrire la douleur qu’il ressentait.
« Lou… Stop… » Sa voix, il ne la reconnaissait même pas.
« Dis-moi… Dis-moi qu’il est toujours en vie. » Il sentit son cœur se contracter et il ferma les yeux sous le poids de la douleur.
« Dis-moi juste… »« Oh mon dieu Teddy je suis désolée… Je ne voulais p-… Oui il est vivant. Dans un sale état mais il s’accroche. Il est dans le coma pour l’instant… Les médecins disent que c’est mieux… Que comme ça il…» Il porta sa main tremblante à son visage, essuyant les larmes qui avaient roulées d’elles-mêmes sur ses joues. Lou-Anne continuait à lui faire un résumé de l’état d’Arsène. Elle lui racontait ce qu’elle savait, ce qui n’était pas grand-chose pour le moment.
« Je prends le premier avion Lou. J’arrive. » Dit-il, alors qu’il regardait déjà autour de lui, faisant la liste de ce qu’il avait besoin d’emmener sous le coup de l’urgence. A l’autre bout du fil, il entendit le soulagement manifeste de la jeune femme.
« Je savais que tu allais dire ça. »