i left alone. i left the world.

i was running, to be by your side.

Lua ouvre les yeux, puis les referme immédiatement, éblouie par le rayon de soleil en plein sur son petit visage. Gardant ses paupières mi-closes, elle tâtonne à l'aveuglette à la recherche de ses lunettes ; mais, alors qu'elle déplace sa main, c'est sur autre chose que celle-ci se pose. Fronçant les sourcils, elle se force à ouvrir les yeux, et sursaute en voyant Rhea, un sourire immense et malin aux lèvres, à quelques centimètres de son visage. « T'aurais dû...voir... TA TÊTE! », lâche Rhea entre deux éclats de rire, manquant de s'étouffer en riant aussi fort. Encore ensommeillée, Lua s'assied, se grattant la tête en observant sa soeur jumelle, légèrement floue de son point de vue. « C'est pas drôle, Rhea. » L'interpellée s'arrête immédiatement de rire, confuse, soudainement préoccupée d'avoir blessé Lua. Elles s'observent un instant, yeux dans les yeux, s'affrontant sans un sourire sur leurs visages si semblables. Jusqu'à ce que Lua craque la première, éclatant d'un rire incontrôlable que Rhea suit immédiatement en sautant sur le lit, couvrant sa soeur de chatouillis habiles. Leurs rires se mêlent pendant quelques minutes, jusqu'à ce qu'elles s'enlacent, exténuées et à bout de souffle. Rhea se roule ensuite sur le côté, tendant un bras vers plusieurs objets posés au pied du lit. « Tiens, Lu. » Les lunettes rondes de Lua dans une main et une peluche d'un tigre dans l'autre, qu'elle tend à une Lua aux yeux écarquillés -autant par sa pauvre vision que par la surprise. Elle enfile rapidement les verres, puis prend doucement, tendrement, la peluche entre deux doigts attentionnés. « C'est pour moi? C'est maman qui l'a acheté? » Non. Ce n'est pas maman. Lua le suspecte, évidemment, mais ne dit rien, trop préoccupée par la fourrure incroyablement douce du tigre pour se faire du souci à ce propos. Rhea garde un sourire impeccable, habituée aux petits mensonges qu'elle juge indispensables pour protéger sa soeur depuis qu'elle a appris à parler, inventant une histoire comme elle le fait si bien. « Oui, elle l'a acheté lundi avant de partir! C'était un cadeau pour nos huit ans, mais j'ai pas réussi à garder le secret. » Le visage de Rhea se décompose, et elle baisse les yeux, attristée et coupable. Car elle sait très bien que, pour leur anniversaire, maman pourra tout juste se permettre de leur faire un dîner différent que leurs habituelles conserves à bon marché; mais Rhea, elle ne peut pas laisser sa moitié sans un cadeau, alors c'est naturellement qu'elle a caché le petit tigre sous sa veste en sortant du supermarché. Lua regarde sa soeur d'un air attendri, levant la tête de celle-ci d'un doigt sous son menton, et lui fait son plus beau sourire, celui qu'elle garde exprès pour quand Rhea est triste. « C'est pas grave. C'est le meilleur cadeau du monde! Et t'es la meilleure soeur du monde, aussi. » Tout ira bien. Lua est heureuse, donc Rhea l'est aussi. Toutes les deux contre le reste du monde.

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Jordan. Elle est belle. Dieu, qu'elle est belle. C'est elle qu'ils ont choisi comme chanteuse pour leur groupe nouveau-né, elle qu'ils ont jugé parfaite dans tous les aspects dès le premier regard il y a trois mois. Seules deux filles face aux deux garçons qui composent leur petit cocon musical, c'est rapidement qu'elles se sont rapprochées, sous les yeux jaloux de Logan et Timmy. Logan, le meilleur ami de Lua depuis qu'ils ont huit ans, fou amoureux d'elle depuis ses huit et demi; Timmy, leur guitariste, jeune homme arrogant qui a rapidement mis Jordan dans son lit, mais qu'elle ignore royalement le reste du temps. Lua n'a que seize ans. Elle ne sait pas ce qu'elle veut. Juste que Jordan, elle éclipse tout le reste du monde. « Ton coeur bat super vite, Lu », dit Jordan en riant, allongée aux côtés de Lua, la tête posée sur le haut de la poitrine de celle-ci. Elles sont chez Jordan, dans sa petite maison à quelques pâtés de chez Lua. Cette dernière est en retard pour dîner. Elles s'en foutent totalement. « C'est toi qui me fais cet effet », répond Lua sur le ton de la plaisanterie, à moitié honnête. Elle fixe le plafond, évitant le regard perçant et malicieux de Jordan. Déplaçant sa tête un tout petit peu, elle croise du coin de l'oeil le regard en question. « Me regardes pas comme ça! » Sa voix est légèrement cassée et son coeur bat à tout rompre, et, alors qu'elle tente de garder une face impassible, Jordan s'est déjà redressée, posant ses lèvres sur celles avides de Lua. C'est bon. C'est magique. Ça embrouille toutes les pensées de Lua, alors qu'automatiquement, elle s'accroche à ces lèvres, rend le baiser le plus naturellement du monde. Elle ne pense même pas que c'est une fille qu'elle est en train d'embrasser ; au final, elle probablement toujours su, car jamais elle n'a ressenti quelque chose comme ça avec les quelques garçons qu'elle a pu ramener à la maison. Jordan, c'est... bien plus que ça. C'est une découverte. C'est une évidence. Elles restent ainsi pendant de longues minutes, s'interrompant pour s'observer, pour rires, pour recommencer. Jusqu'à ce que le regard de Lua tombe sur l'horloge de Jordan. « Merde, faut que je rentre. J'ai pas envie, là. » Encore un sourire, un soupir, un baiser. « Moi non plus. »

En ouvrant la porte de chez elle, c'est un sourire immense qui éclaire le visage de Lua. Et un seul prénom qui tourne en boucle dans sa tête. Jordan, Jordan, Jordan. « Merde, t'étais où Lua?! J'étais préoccupée, là! » Rhea arrive en furie, et en temps normal, Lua aurait senti la culpabilité lui étreindre la gorge et se serait excusée immédiatement. Mais rien ne vient entâcher sa bonne humeur. Courant dans les bras de sa soeur, elle l'étreint très fort, puis commence une petite danse joyeuse, riant aux éclats. « Y en a une qui a passé une bonne journée, dis-donc. » Les rires de Rhea se joignent aux siens, sans qu'elle y comprenne grand chose. Puis Lua s'écarte, donne un baiser sur le front de Rhea et s'éloigne vers le frigo, affamée. « Vas-y, dis moi, c'est qui le chanceux? S'il te fait du mal, il a plus de dents. » La question vient imprévue, glaçant un instant le sang de Lua. Sans réfléchir, le mensonge passe ses lèvres sans qu'elle n'ait le temps de réagir. « Logan. » Pause. Pourquoi j'ai dis ça? « ... Je l'savais! J'étais sûre que vous finiriez ensemble, un jour. » C'est trop tard pour reculer. Le premier mensonge d'une longue série. Se retournant vers sa soeur, elle remet son sourire en place, une lumière de bonne humeur désormais factice dans le regard. « Ouais... Moi aussi. »

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« Comment ça, tu quittes?! » Un an et demi plus tard, quelques jours avant la fin du lycée, et tellement de choses ont changé depuis. L'idylle du groupe a duré quelques temps : ils étaient doués, vendaient quelques albums dans leurs petits concerts dans les bars du coin, étaient connus dans toute la communauté de jeunes de Nashville. Et puis, tout doucement, les fissures sont apparues. La jalousie aussi, inévitable. « J'ai un contrat dans un label à New York, chouchou, t'es pas contente pour moi? » Chouchou. Surnom qu'elle réserve inconsciemment à ceux qui l'importunent en minaudant, comme à cet instant. Levant les yeux au ciel, agacée, Lua se plante face à Jordan, retenant ses larmes, prise une colère sourde, accusatrice. « Depuis combien de temps tu me mens, chouchou? Depuis combien de temps tu couches avec n'importe qui, dis-moi? » Faussement outrée, l'intéressée lâche un rire presque moqueur. « Tu rigoles, j'esp... » CLAC. La gifle de Lua vient interrompre ces mots, inattendue des deux côtés. Le regard de Jordan change, se faisant immédiatement glacial. « Tu veux tout savoir, Lua? Toi et moi, on a jamais été exclusives. J'suis juste restée avec toi pour le bien du groupe, ma vieille. » Lua ferme les yeux, inspirant profondément, tremblante de colère et de peine. « Ta gueule et dégage de ma vue, Jordan. Dégage de ma vie. » Un instant, Jordan ne bouge pas. Puis, voyant que Lua ne ravalera pas ses mots, elle s'en va. Et tout est fini.

La porte claque, et Lua ne tient plus. Dans leur salle de répétitions, elle a envie de tout casser, mais finit par éclater en sanglots, assise par terre. C'est fini. « Lu? Qu'est-ce qui se passe? » Logan vient s'accroupir à ses côtés, préoccupé. Il tente un câlin, mais le regard de Lua se durcit, les yeux plissés, et il renonce immédiatement. « Le groupe est fini, Logan. Jordan est partie, Timmy doit être aux anges, et toi... Toi, tu passe ton temps à sniffer avec tes drogués de potes. Bravo, mon vieux. Le groupe, c'est officiellement terminé. » Il se redresse rapidement, mettant le plus d'écart possible entre leurs de corps, lui aussi énervé. « Tu penses que t'as pas de fautes, là-dedans? Toi et tes maudits rêves d'aller à l'université, tes heures passées à la bibliothèque au lieux de venir aux répètes? Sans parler de tes histoires débiles avec Jordan.. » « Commences pas. » Il laisse échapper un rire sans joie, secouant la tête. « J'ai cru que t'étais ma meilleure amie, tu sais. Visiblement, t'es passée à autre chose. » Elle encaisse sans broncher l'attaque, retenant une nouvelle vague de larmes. « On en a fini nous aussi, j'imagine? » « J'crois, ouais. » Ils s'observent un instant, laissant tomber leur colère dans ce regard presque attendri. Sans un mot de plus, il la prend dans ses bras, et elle s'y accroche désespérément, pleurant sans bruit sur son épaule. Quelques longues minutes. Et, lui aussi, il s'en va de sa vie, la laissant ainsi au sol, le coeur totalement en miettes. C'est fini. Il est temps de passer à autre chose, désormais.

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BIENVENUE À HUNTSVILLE, ALABAMA, dit le panneau de l'autoroute. Lua sourit, ravie et excitée par ce changement radical. Elle a vingt-et-un ans, un bachelor en poche, une tête pleine d'idées, une bourse pour un master en ingénierie spatiale. Le rêve. Son coeur se serre encore, toutefois, à l'idée de laisser derrière elle les seules personnes qui comptent. Rhea. Et Adriana, sa nièce de un an à peine, la nouvelle prunelle de ses yeux. Mais Lua est bien trop ambitieuse. Bien trop rêveuse pour rester coincée dans la ville où ses souvenirs les plus douloureux nichent encore dans chaque coin de rue. Et, surtout, elle peut enfin être libre, ici. Libre de ce mensonge sur sa sexualité qu'elle se traîne sur les épaules depuis tant d'années, pour aucune autre raison valable que celle de n'avoir pas été assez courageuse pour l'avouer à sa propre famille. Pas qu'elle n'ait pas essayé, oh non ; mais, à chaque fois, ce n'était jamais le bon moment, jamais la bonne façon. Alors, elle l'a gardé pour elle, empilant mensonge sur mensonge en sortant avec quelques garçons au hasard pour se convaincre elle-même que ce n'est qu'une mauvaise passe. Don't Stop Believing de Journey à la radio, elle sent ce poids se lever de sa poitrine à chaque minute la rapprochant de Huntsville. Et, dès qu'elle ouvre la porte de son petit appartement, elle sait que tout ira bien. T'es chez toi, désormais.

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« T'as une de ces têtes, Lua... T'es un peu verte, en fait. » Lua jette un regard de travers à Hank, son collègue. « Dis pas n'importe qu... », elle commence, juste avant de laisser échapper un éternuement sonore qui résonne dans tout le laboratoire. Quelques rires se font entendre à travers la pièce, et Lua murmure un désolée en leur lançant une grimace gênée. « Bon, ok, je couve peut-être quelque chose. » Alors qu'elle se mouche -sonorement- le nez, Hank commence à fouiller sur son bureau, et, satisfait, lui tend une carte de visite. « Tiens. C'est le numéro du docteur d'un ami à moi. Douée, à c'qui parait, et sacrément canon aussi. » Réticente, Lua prend le petit carton en secouant la tête, se retenant de rire. « T'essaye de me convaincre comme ça? J'aime pas les docteurs de toute façon. Surtout ceux avec un nom aussi bizarre que "Docteur Seven", Hank. » Il hausse les épaules, éclatant de rire. « Comme tu veux, Lua. Je te laisse crever en paix avec ton rhume dégoûtant, tant que tu t'approches pas de moi. » Pour toute réponse, elle lui balance son mouchoir usé, l'observant avec un air innocent et un grand sourire aux lèvres alors qu'il commence à l'insulter de tous les noms... Jusqu'à ce qu'elle éternue à nouveau et qu'il se moque d'elle à nouveau. Faudrait peut-être que j'aille le voir, ce médecin.

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Les mains tremblantes, Lua essaye en vain d'allumer une cigarette. Manquant la flamme pour la troisième fois de suite, elle envoie valser clope et briquet en un geste frustré, puis se passe une main sur le visage, à bout de nerfs. Vingt heures et trente-six minutes que Raphaëlle est partie. Après cinq mois et dix jours de relation, elle a choisi l'autre. Simon. Son mari, réveillé du coma après six mois de mort cérébrale. Évidemment. Assise en tailleur sur son lit, Lua gît au milieu d'un désordre inhabituel, retenant à nouveau ces maudites larmes qui ne tarissent pas, tout comme la douleur qui enserre sa gorge depuis que Raphaëlle Seven a quitté l'appartement. T'es tombée dans le panneau, encore une fois. Une photo des deux est encore affichée en tant que fond d'écran du téléphone de Lua, téléphone qui rejoint rapidement la cigarette non allumée. « Merde alors. » À l'instant où elle se décide à aller ramasser ses affaires, toutefois, le bruit caractéristique d'une conversation skype interrompt son mouvement, inattendu. Curieuse, elle rejoint rapidement son bureau, répondant au tout dernier instant à une Rhea à l'air enthousiaste. « Hello, soeurette! J'ai une grande nouvelle pour toi. » Affichant un sourire à moitié forcé, Lua hausse les sourcils, intriguée. « T'es pas enceinte de nouveau, dis-moi? » Rhea secoue la tête, levant les yeux au ciel. « Mais non, idiote. C'est... une décision bien réfléchie, à vrai dire... Je viens à Huntsville avec Adriana. On arrive dans quelques jours, et on va rester un moment. Pour toi, Lu. Parce que je veux pas que ma fille grandisse sans connaître vraiment sa tante, tu vois. » La nouvelle est balancée d'une traite par Rhea, et ce n'est que surprise qui envahit Lua. Surprise, et un sentiment étrange de culpabilité, déni, terreur presque. « ... Tu pourras enfin me présenter ton copain, comme ça. » Alors, Lua sourit. Comme toujours. Gardant la façade d'un ravissement qu'elle se force de chercher au fond de son coeur. « Woah. C'est génial, Rhea! Ça me fait vraiment trop, trop plaisir. » Inspire. Expire. Car c'est tout ce que Lua peut faire, quand toute la stabilité de sa vie vient de s'écrouler en moins de 24h. Let the game begin.