“ citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation citation ”

Mit au lit à vingt heures, levé à six heures au bruit d’une musique rythmée. Saul était bienheureux que les maisons du quartier où il vivait avec son père et sa mère n’avaient aucuns murs concomitants, mais étaient toutes séparées par quelques mètres d’herbe. Il n’aurait pas aimé que sa famille soir arrêtée pour nuisances sonores… c’est qu’ils étaient bruyants. Leur demeure était pleine de notes, de rires et de cris hystériques. Ses parents se disputaient extrêmement souvent, pour des futilités ou des choses importantes. Mais de ce fait Saul ne garde aucun mauvais souvenir, car ces moments tendus se finissaient la plupart du temps par des éclats de rire. Ni l’un ni l’autre n’était capable de rester sérieux très longtemps. Sa mère, Emma, trouvait que son père avait des airs de Count von Count quand il fronçait les sourcils. Et Astor, son père, trouvait que sa mère ressemblait à une folle quand elle secouait sa tête de droite à gauche, énervée… Il arrivait même que leur enfant unique participe à leurs disputes – surtout depuis qu’il était entré dans l’adolescence et se jugeait suffisamment grand pour avoir, lui aussi, son mot à dire. Défendant une fois son père, une fois sa mère… qui tous deux le remerciaient d’un câlin étouffant et d’un gloussement ravi. Qu’ils aimaient leur unique fils ! Eux, couple sensé être infertile, avaient réussis à donner naissance à un enfant. Un enfant comme les autres. Ou presque. Cet enfant était un Jonckersen ; une famille qu’on aimait dire être composée uniquement de cas sociaux. Astor, le père, était descendu de New-York jusqu’à Galveston pour son travail – il était professeur d’aérobic et chaque jour, des centaines de femmes et d’hommes se retrouvaient devant leur télévision pour imiter ses mouvements. Oh, il ne portait pas de tenues moulantes aux couleurs hideuses ni de bandeaux dans ses cheveux d’un blond lumineux. Mais il avait cette pêche et se sourire étincelant, ces gestes francs et rythmés et surtout, cette musculature impressionnante sous sa peau légèrement hâlée… C’était la star de FitTV, qui dès qu’il apparaissait à l’écran voyait le taux d’audience monter en flèche. Dès qu’Astor lançait son regard clair vers la caméra, les ovaires de toute l’assistance, à 80% féminine, explosaient. De plus, c’était quelqu’un de profondément doux et aimant et de, surtout, croyant. Et cela, en Amérique, c’est important. Tout autant que la liberté et la famille. Au grand dam de ses adulatrices, c’était un homme marié depuis ses dix-huit ans à une même femme, au fort caractère mais tout aussi séduisante que son mari. Oh, on disait qu’ils allaient bien ensemble. Laborantine perdue dans ses recherches sur le cancer, Emma avait pour souhait d’arriver à éradiquer cette maladie protéiforme de la surface de la Terre. Et dans son regard malicieux se perdaient ses collègues, subjugués par sa beauté qui semblait, avec l’âge, ne devenir plus grande. S’en était contre-nature… Et leur fils unique, dans tout cela ?

Il se leva d’un bond – ayant compris depuis longtemps que flemmarder au lit ne rendait le réveil que plus difficile. Le voilà qui s’étira, de façon tonique, levant les bras et faisant rouler ses articulations, pour finalement faire craquer ses vertèbres. Sa mère hurla pour demander s’il était debout, et de la même façon l’adolescent répondit positivement. A présent bien réveillé, il saisit ses vêtements qu’il avait préparés la veille et courut dans la salle de bain ; où son père était en train de se raser. Un salut fut échangé et Saul se déshabilla, sans aucune honte. Entre lui et son géniteur, il n’y avait aucun secret – tout du moins, sur leur physique. Astor était l’homme qui des années durant avait nettoyé les fesses de Saul, qui de ce fait ne voyait pas en quoi il devrait tout à coup se montrer pudique. Et Astor, point pour le moins du monde honteux de son corps, ne jugeait pas important de se cacher aux yeux de son fils – qui n’avait jamais semblé trouver cette proximité étrange. La douche fut rapide, en dix minutes l’adolescent était sorti. Profitant que son père était sorti de la salle de bain, il s’observa dans le miroir. Il n’avait pas encore la stature imposante de son géniteur et se demandait si un jour il l’aurait… on disait qu’il tenait plus de sa mère, qui avait une bien fine silhouette. Saul n’aimait pas beaucoup s’observer mais ne pouvait s’en empêcher, bien qu’il savait que porter tant d’importance à son apparence était une chose mauvaise. Toutefois, qui pouvait reprocher à un adolescent de se questionner sur sa normalité ? Il ne connaissait, pour corps masculin autre que le sien, que celui de son paternel et de quelques-uns de ses amis, avec lesquels parfois il s’entraînait. Et ils étaient bien loin d’être obèses. Oh, à l’Eglise, l’adolescent devinait bien sous les t-shirts la bedaine de nombreux priants. Et cela lui faisait encore plus peur. Deviendrait-il ainsi, plutôt que comme l’exemple de sa vie ? Alors qu’il contracta ses abdominaux, une boule se forma dans sa gorge. Astor ne cessait à répéter à qui voulait l’entendre que les protéines et autres poudres ou injections miraculeuses étaient mauvaises pour la santé. Mais c’était quand-même tentant. Saul se trouvait si maigre, oubliant totalement son statut d’adolescent. A cet âge, on est rarement bien épais… Toutefois, ne participant à aucun club sportif, Saul ne pouvait apprécier à quoi ressemblaient ceux de son âge. Les douches scolaires… le lieu des coups de serviettes humides, mais aussi un lieu de vérité qui permettait à tant de jouvenceaux de savoir si, oui ou non, ils étaient normaux. Saul lui, ne connaissait que la salle de bain de la maison de ses parents et les pectoraux imposants de son paternel, ou les cous larges des taureaux peuplant les salles d’haltérophilie.

Sa mère lui signala qu’ils n’attendaient plus que lui pour le petit déjeuner, aussi rapidement il s’habilla. Son style était des plus neutres. Un jean droit, clair, avec jeté dessus un t-shirt blanc sans motif et une chemise laissée ouverte. Sa mère lissa son col et flatta sa chevelure, qu’il avait souhaité laisser pousser. Son père s’y était opposé un moment mais Emma avait eu le dernier mot, en disant que tant qu’ils restaient propres et brossés, elle ne voyait pas pourquoi il ne pourrait pas. Elle ne voyait pas cela comme un acte d’opposition – ou alors, Jésus était le premier des rebelles et tous les catholiques (dont elle faisait partie, alors que son mari était protestant – de quoi nourrir leurs innombrables disputes) étaient des révolutionnaires… Et puis, ce qu’elle n’osait pas dire, c’est qu’avec ses cheveux un peu longs Saul ressemblait à River Phoenix, un de ses acteurs favoris. Assis à la table de leur cuisine, se tenant les mains, ils prièrent et remercièrent leur Dieu pour leur avoir offert ce qui se trouvait sur leur table. D’esprit naturellement critique, Saul se mit à se poser mille questions. Etait-ce véritablement Dieu, qui leur avait offert ce paquet de céréales, ce lait et ces baies ? Etait-ce grâce à sa présence que la maison sentait bon le bacon et les œufs brouillés ? Tartinant son pain de beurre et de confiture qu’il trempa dans son café, l’adolescent sentait sa cervelle chauffer. Est-ce que Dieu était-il véritablement responsable pour tout ce qui arrivait sur Terre ? Ou plutôt, n’était-il responsable que des bonnes choses ? Jamais le jeune blond n’avait entendu ses parents remercier ou blâmer Dieu pour une guerre. Juste lui demandaient-ils son pardon et sa protection. Quand, dans leur groupe de prière où il se rendait avec son père un des membres était malade, tous apposaient leurs mains sur ou vers lui et demandaient à leur divinité unique de le soigner. Néanmoins, la Bible ne disait-elle pas que Dieu avait donné (ou plutôt, cette dernière l’avait pris) le libre arbitre à l’humanité ? Et de ce fait, ne s’était-il pas interdit d’intervenir, pour laisser ses enfants faire leurs choix… Il engloutit sa tartine et versa des flocons d’avoine dans son bol et prit les framboises que lui passait son père. Mais Dieu n’agit pas sur le monde, mais dans le monde. Dans le cœur de ses créatures ! Dans cette phrase qui était survenue dans son esprit, sans prévenir, Saul sentait quelque chose. Plus qu’agir sur des faits, Dieu agissait au travers de ses prêcheurs… Une douleur dans la région du cœur le prit et le fait qu’il porta sa main à sa poitrine le trahit auprès de sa mère, qui lui demanda si tout allait bien. « C’bon, m’an. J’ai juste avalé de travers. » Il ne voulait pas l’inquiéter, et ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait. Saul se savait émotif et ne souhaitait pas que sa mère, encore, ne se monte la tête en imaginant les pires maladies qui pourraient être l’explication de symptômes qu’elle décèlerait chez son enfant.

Saul n’était pas bien solide, bien que volontaire. Il devait fréquemment s’arrêter quand il s’entraînait avec son père. Ce dernier, qui n’avait jamais entraîné d’autres gamins que Saul, mettait cela sur le fait que son corps n’était pas encore aussi développé que le sien. Malgré tout, plus le temps passait et moins Saul ne semblait capable de pouvoir, un jour, rattraper Astor. Cela ne dépitait, toutefois, que le plus jeune des deux. Oh ! Qu’il aimerait, plus tard, revêtir un treillis pour protéger sa patrie. Ses parents et bien d’autres… Lui aussi voulait rendre service à la nation, comme le faisait son père en aidant des millions de personnes à rester en forme et comme le faisait sa mère en luttant contre le cancer. Voyant que son bus n’allait pas tarder à arriver, l’adolescent finit rapidement son petit-déjeuner, rangea bien sa chaise et mit sa vaisselle dans l’évier avant de, son sac sur le dos, quitter la maison après avoir souhaité une bonne journée à ceux qui l’avaient si bien élevé.

UC