01. L’engagement
Les dernières notes de musique emplissaient la pièce. Depuis sept heures ce matin, les auditions s’enchainaient mais ne se ressemblaient pas. J’avais des frissons à chaque note et savais reconnaître le talent de mes adversaires. Dans quelques jours, seulement une poignée d’entre nous auront la chance d’intégrer l’école d’arts prestigieuse. Le jury nous demanda de vider la salle aux plafonds immenses, à l’acoustique légère et au style ancien pour pouvoir se décider sur les personnes retenues. Il était un peu plus de neuf heures lorsque je sortis du bâtiment et de mon cocon. Dehors, de nombreuses personnes s’agitaient. Beaucoup trop pour une matinée normale à New York. J’avais l’impression d’assister à un chaos organisé, la plupart d’entre eux se dirigeant tous dans la même direction. De nombreux bruits de sirènes me parvenaient aux oreilles, je restais figée sur place devant l’entrée du bâtiment, impressionnée par la tension dynamique de la ville. Quelque chose se produisait, j’en étais certaine. Ce n’est qu’en prenant le temps d’observer les personnes autour de moi que je me mis moi-même en mouvement. Tous avaient les yeux rivés dans une seule et unique direction. Je me décalai pour déboucher sur l’avenue principale et imitai le mouvement des autres en tournant mon regard vers le Sud de Manhattan. Là, un peu plus loin, une immense colonne de fumée trônait au milieu des gratte-ciel. Personne ne comprenait vraiment ce qu’il se passait, mais personne non-plus n’osait demander autour de soi. Ma première envie fut de prévenir mes parents que j’allais bien, et j’en oubliai les résultats de mon audition que je devais recevoir quelques minutes plus tard. Je me dirigeai vers la première station de métro pour constater qu’aucune ligne n’était en marche. Mon appartement ne se trouvant qu’à une vingtaine de rues de le Juilliard School, je décidai de m’y rendre à pieds, à contre-sens de la foule qui semblait fuir quelque chose. Une quarantaine de minutes plus tard, je me retrouvais accroupie à même le sol, mon visage dans mes bras, inquiète, angoissée, impuissante, terrifiée, effrayée. Entourée d’une poussière épaisse, le ciel pleuvant de papiers. Le sol avait grondé, les bâtiments avaient tremblés, et nous nous étions là au milieu de ces rues, perdus.

Ce jour-là changea beaucoup de choses pour beaucoup de monde. Pour moi aussi. Après être restée à New York pendant des mois en espérant me rendre utile, j’étais ensuite rentrée chez moi à Philadelphie. Envolées mes idées de devenir une grande pianiste. La seule chose que je voulais désormais, c’était de ne plus jamais me sentir aussi impuissante et terrifiée. Je voulais donner un sens à ce que je faisais, et c’est là que naquit l’idée de servir mon pays. Dieu n’ayant pas créé le monde en un seul jour, j’étais consciente que je n’allais pas passer de pianiste à soldat en un claquement de doigt. Je commençai donc à m’entrainer, surtout au niveau de la cardio, commençant à courir, faire du vélo, de la randonnée, avant de m’inscrire à des classes de combat. Pendant ce temps, j’enchainais les petits boulots et me rendais en tant que bénévole au centre de rééducation des militaires blessés au combat. L’idée se précisa dans mon esprit, et ce n’est que cinq ans plus tard, quand je me sentis enfin prête, que j’entrai à l’école des cadets, déterminée à entrer au sein des Special Forces.

02. Où tu iras j'irai
Je soupirai longuement tout en jetant mon sac à dos au sol. Enfin rentrée. Enfin dans un bâtiment en dur. Enfin un lit avec un vrai matelas. J’avaisi terriblement envie de me jeter dessus et de m’endormir jusqu’à être forcée de le quitter, mais une seconde envie surmonta bien plus celle-ci. Je souris bêtement et trouvai un élan d’énergie je ne sais où. J’enfilai un nouveau pantalon, un débardeur blanc, attachai mes cheveux en une queue de cheval parfaitement dressée, changai de bottines et ressortis de ma chambre. Je me dirigeai tout droit vers l’étage du dessous, où résidaient les hommes. Celui que je cherchais n’est pas là. J’arpentai les couloirs en demandant autour de moi où je pouvais trouver le commandant Landley, aucun de ces gars ne savait me donner d’information claire et précise. Je redescendis sur la base et cherchai après lui à différents endroits, commençant pas les pistes d’entrainement. Toujours pas de Landley. Je finis par croiser l’un des soldats de son escadron qui éclaira ma lanterne. La minute suivante, je me retrouvais dans l’encadrement de la porte du Colonel « Vous comptiez me prévenir quand ?! » au diable les bienséances, je n’étais pas là pour me faire passer pour une bonne petite chèvre, j’étais furieuse. « Calmez-vous Silver. » Il savait de quoi je lui parlais, il partit d’ailleurs ensuite dans un discours sordide prétextant le fait qu’ils ne voulaient pas me déconcentrer de mon objectif. Comme si je n’étais pas capable de gérer ou d’encaisser ces informations. Bande d’incapables. Je ravalai mon venin et m’exprimai clairement suite à ses dires, prenant par la même occasion une posture officielle. « Je vous demande une permission, mon colonel. » Deux jours plus tard, j’étais de retour sur le sol américain.

Je frappai à la porte de la chambre entrouverte et la poussai avant même d’avoir une réponse. « Tu pensais vraiment pouvoir te débarrasser de moi comme ça ? » m’imposais-je, sourire jusqu’aux oreilles. Il était là, en chair et en os. Enfin. Sa mine n’était pas radieuse, mais le simple fait de le voir était bien mieux que le souvenir que j’avais de lui. Je ne me fis pas prier pour m’approcher de lui et l’enlacer avant de m’asseoir à côté de lui sur le canapé tout en faisant attention à ne pas trop le brusquer. Je ne pouvais pas le cacher, cet homme m’avait énormément manqué, en plus de ne pouvoir le voir, le pire avait été de ne pas pouvoir lui parler. Je l’aurais d’ailleurs bien prévenu par téléphone, mais puisqu’il n’avait pas lui-même pris la peine de le faire pour moi, il allait avoir affaire à moi en face à face. Seulement de l’avoir à côté de moi me faisait prendre conscience qu’il ne méritait pas d’avoir cette pseudo confrontation. Je posai alors des yeux de compassion sur lui. « Dans quelle trou tu t’es encore fourré ? Promets-moi de ne plus jamais me faire ça … » Le simple fait d’apprendre qu’il avait été gravement blessé et que les choses avaient tourné au vinaigre lors de sa dernière mission m’avaient donné des haut-le-cœur. Aiden était la seule personne au monde de qui j’étais vraiment proche. Il était mon ancre, mon gouvernail, mon allié, mon confident, mon meilleur ami. Si je devais le perdre, je perdais tout. Je décidai de ne pas lui poser de question sur ce qui s’était passé, consciente qu’il s’agissait d’évènements douloureux et persuadée qu’il s’ouvrirait de lui-même quand il en aurait envie. Je me concentrai sur sa rééducation, lui parlai de moi, de cette base, de l’école à côté, et lui promis au passage de le suivre partout où il irait. Presque littéralement parlant.

03. S'assagir
Mains sur les cuisses, à moitié courbée, le soufflais, reprenant ma respiration. Même après trois fois de suite, le parcours d’obstacles n’en était pas venu à avoir raison de moi. Je relevai le regard, prête à entamer un quatrième tour quand je remarquai qu’il était toujours là. Lui, ce grand brun d’un mètre quatre-vingt, plutôt menu, l’air intelligent, au regard sombre mais attendrissant. Il sembla être pris sur le fait quand mon regard avait croisé le sien. Je tournai ma tête dans la direction opposée, souris et me décidai à marcher en sa direction. Cet homme, je l’avais déjà aperçu quelques soirs auparavant dans un bar, il me regardait à peu près avec le même regard et je m’étais demandé à quel moment il se déciderait à venir me parler, sans que cet instant ne vienne. Cette fois-ci, je décidai de prendre les choses en main. « Je vais finir par croire que vous me suivez ! » dis-je alors que j’étais encore à quelques mètres de lui. Je lui montrais par la même occasion que je me souvenais de lui, et que j’avais remarqué qu’il m’observait l’autre soir. Arrivée à sa hauteur, je lui tendis ma main pour qu’il la serre. « Capitaine Silver, je peux vous aider ? » lui demandais-je, persuadée qu’il s’était perdu sur la base. Il mit un petit temps à me répondre, semblant chercher ses mots, visiblement troublé. « Je … non. Je travaille ici. » Mes muscles se crispèrent à ses dire. Mince, la boulette. « Je suis l’un des psychologues. » Intérieurement, je fais la moue, quelque part déçue qu’il travaille sur la base. Une ampoule s’éclaire dans mon esprit. « Oh, alors c’est vous Smy… Syzm… Alastair ? » J’avais déjà entendu parler de lui et ce que l’on disait était vrai : son nom de famille était tout simplement imprononçable ! Je lui souris pour faire passer ma maladresse soudaine. « C’est bien ça … et vous, vous êtres bonne. » J’arquai un sourcil. Ça pour être direct. « Enfin non, enfin si enfin... bonne en... combat. » Mon sourire ne se fit pas prier à revenir sur mes lèvres. « Merci, il paraît que vous faites bien votre boulot aussi … Je suis désolée, je dois y retourner, mais on se recroisera peut-être ? » Je lui lançai un clin d’œil en courant pour retourner auprès des recrues qui venaient d’arriver pour leur cours.

Aiden avait cette fâcheuse habitude de ne pas fermer à clé ses appartements lorsqu’il y était. J’entrai sans frapper et le retrouvai comme un petit vieux devant une série télévisée. Je ris. « J’ai besoin de toi. » lançais-je dans la foulée. Avant d’arriver près de lui, je passai par la cuisine, attrapai un paquet de chips dans son armoire, en engouffrai deux trois et vins m’asseoir en tailleur près de lui. « T’en veux ? » lui proposais-je tout en lui tendant le paquet. « Viens-en aux faits, Arizona. » Espèce d’impatient. Je ne me fis toutefois pas prier. « Ok, mais pas de moquerie, d’accord ? » appuyais-je en lui lançant un regard noir. Il acquiesça et je me lançai dans mon récit. « Bon, tu sais combien je suis à cheval concernant mes relations … Tu sais que tu es le seul militaire avec qui j’ai couché et que malgré qu’ils ressemblent pour la plupart à des Apollons, je résiste toujours et ne cède jamais. Mais, imaginons que j’aie envie d’inviter une personne travaillant sur la base à boire un verre. Juste à deux. Rien que lui et moi. Pas d’autres collègues pour nous tenir compagnie. Tu crois que je devrais le lui proposer ? Je ne sais pas, ça va à l’encontre de toutes les règles que j’ai suivies jusqu’à maintenant. Je ne veux pas que d’autres personnes se disent que j’ai abaissé la garde et qu’il y a une ouverture possible. Tu crois que (…) »