A genoux devant la tombe, il observe les lettres gravées sur le marbre. Ces quelques lettres qui lui brisent le coeur, qui le déchirent de l'intérieur. Steve. Ce prénom , il le connait par coeur, jusqu'à il y a quelques jours c'était celui de son frère. Son petit frère qui a péri lors de ce jour désastreux. Cette date est devenue un cauchemar. Le 11 Septembre. Il sait que dans cette épreuve, il partage son chagrin avec des millions d'américains mais il ne s'en occupe pas. Les autres n'étaient pas Steve. Il a l'impression d'avoir échoué, d'avoir perdu. Il s'est engagé pour tous les protéger et il n'a pas réussi. Il a trahi sa volonté de faire le bien et il s'en sent coupable. Pourtant, il n'est pas le responsable, il n'a pas tué toutes ces personnes mais pour lui c'est tout comme. Il se souvient encore du coup de téléphone qu'il a reçu alors que l'alerte était maximale, que toute son équipe était prête à partir. Dès qu'il a entendu la voix de sa mère, il a compris que quelque chose d'anormal s'était produit. Il ne lui a fallu que quelques secondes pour se rappeler que son cadet venait de commencer un travail dans l'une des deux tours. Durant des heures, il a espéré une bonne nouvelle, croyant qu'un miracle pouvait arriver puis il a compris que c'était la fin. Son frère était l'une des victimes. Malgré la distance les séparant, les deux enfants Wailana étaient restés proches, aussi liés que par le passé. Josh aimait veiller sur lui, l'aider à avancer. Et maintenant il n'est plus là. A seulement vingt-et-un-an il est parti. Il se souvient de son sourire communicatif, du son de sa voix, des moments qu'ils ont passé ensemble. Le vent marin souffle sur ses joues, il entend les gens partir derrière lui mais il reste là immobile sans bouger. Il ne veut pas bouger, il ne veut pas s'en aller. Il ne veut pas l'abandonner. Il veut rester à ses côtés et continuer de le protéger. Les minutes s'écoulent, puis les heures, la nuit commence à tomber sur le cimetière, la fraicheur l'enveloppe, ses muscles se fatiguent. A force de fixer l'écriture, sa vision se floute. Il n'a jamais eu aussi mal ou ressenti autant de tristesse. Son esprit s'active, tente d'annihiler ses émotions. Une forme étrange de rage et de colère le gagne. Il sait enfin ce qu'il doit faire. Il doit combattre tout ceux qui ont tué son petit frère.

 

« Tu veux t'engager en partie pour une femme ? ». Sa voix montre sa surprise, il ne comprend pas. Il n'a jamais vu Aiden comme un soldat. A vrai dire, il ne veut pas voir sa famille ou ses amis comme des militaires. Il aime son métier mais il ne veut pas qu'ils connaissent la guerre, les armes et cette violence qui est devenue son quotidien. Il aime son métier et c'est pour eux qu'il le fait. C'est pour les protéger que chaque jour, il est prêt à donner sa vie. Il observe son petit cousin avec cette lueur d'étonnement dans le regard.  « Ce n'est pas n'importe quelle femme ». Sa réponse ne le surprend pas, mais il ne la comprend pas. Il n'est pas capable de la comprendre ou d'imaginer ce qui se passe dans la tête d'Aiden car l'amour il ne connait pas. Il n'a jamais éprouvé de sentiments amoureux pour une femme. Aimer, il ne sait pas ce que c'est. Parfois, il envie tous ces couples amoureux, prêts à tout donner pour l'autre, mais il sait que ce n'est pas pour lui. Il hausse les épaules, ne sachant pas ce qu'il peut ajouter ou dire. Evidemment, il est fier d'Aiden, de savoir qu'il va rejoindre les rangs mais il aimerait pouvoir le faire changer d'avis. Lui expliquer à quel point tout est plus difficile qu'il ne peut le croire, lui dire qu'une fois sur le terrain il n'y a plus de seconde chance mais il voit dans le regard de son cousin que ce n'est pas utile. Il réalise que sa volonté est aussi grande que la sienne quand il a rejoint la Team 6. C'est par amour pour son frère qu'il a intégré cette équipe et c'est par amour pour cette dénommée Mercedes qu'Aiden veut prendre les chemins de l'armée. L'amour n'est pas le même, tantôt fraternel, tantôt passionnel mais le résultat en est le même. Il ne veut pas le décevoir alors il lui lance un petit sourire. « Je m'en doute. J'espère bien que tu ne t'engages pas pour la première venue.  ». Ils émettent tous les deux un petit rire. Quelques secondes passent en silence, l'un et l'autre, ils se regardent,  puis chaleureusement Josh pose une main sur l'épaule de l'américain. « Si tu as besoin je serai là en tout cas ». Son ton est sincère, il ne ment pas, il sera toujours là pour Aiden, quoi qu'il arrive, même à distance il fera tout pour le protéger, comme tous ces hommes en uniforme, il veillera sur lui.  

Mercy. Une femme au corps fragile mais à l'esprit fait de béton et de peine. Depuis qu'elle est arrivée ici, dans cette base si perdue, il l'aime bien. Il ne sait pas pourquoi mais il l'apprécie, cette tête brûlée. Quelque chose chez elle l'attire. Elle est une recrue parmi bien d'autres, une nouvelle qu'il se doit de former, à qui il peut donner des ordres mais pas seulement. Tel un protecteur, il veille sur elle. Il la prend sous son aile pour la protéger dans ce nouvel univers si vaste et si impressionnant. Les ennemis ne sont pas seulement les hommes qui la regardent telle une paria. Il y en un plus violent encore. Elle est son propre ennemi, son propre adversaire qu'elle doit combattre, il l'a réalisé assez vite après leur rencontre. Chaque jour, il la voit dépasser les limites imposées par l'armée, enchaîner les débordements mais au lieu de la dénoncer, comme il devrait le faire, il la soutient. Il sait que son devoir serait d'en parler à ses supérieurs pour qu'elle soit sanctionnée mais il ne peut pas s'y résoudre malgré son désir d'être le soldat exemplaire. Peut-être car il se reconnaît en elle. Sur tellement d'aspects, elle lui ressemble alors il ne veut pas la laisser tomber. C'est rare mais pour une fois il s'est attaché à quelqu'un. A un sosie féminin de lui-même, dans ces côtés les plus sombres et les plus destructeurs. Car c'est ce qu'il la voit faire petit à petit, elle s'auto-détruit, comme pour oublier ce qu'elle semble avoir vécu. Il ne veut pas qu'elle se brise alors il est présent. A chaque fois qu'elle l'appelle, quand elle a besoin de lui, il vient l'aider. Et lorsque tout va bien, il se contente de lui enseigner tout son savoir en s'entraînant avec elle. Alors qu'elle se tient devant lui, un air perplexe au visage, presque stupéfaite, il la fixe sans comprendre. « L'entraînement torse nu c'est ta façon de me déstabiliser pour gagner?  ». Il est pris d'un rire nerveux, il lui lance un sourire malicieux, presque espiègle. Elle ne se gêne pas pour le regarder de haut en bas, mais il n'est pas déstabilisé, pas même gêné qu'elle le fasse. Il est habitué à cette tension entre eux. Dans son esprit, il sait que ce jeu est mauvais, presque malsain. En fraternisant avec elle, c'est le conseil militaire qui l'attend, il le sait. Malgré tout,  il continue de s'approcher dangereusement de la barrière, qui les sépare, sans jamais la franchir. Pourtant, il est capable de la faire tomber cette ligne. Bien trop attaché à son métier, il n'ira jamais plus loin que des paroles même si parfois il le désire.  Profitant d'une seconde d'inattention de la part de Mercy, il se place derrière elle, attrapant son bras avec fermeté pour l'immobiliser. « Ca te dérange peut-être?  ». Il la provoque, même s'il connaît déjà la réponse. Avec son attitude étrange, il lui apprend à rester concentrée, à ne pas se laisser divertir par des bruits ou par quelqu'un. Malgré sa carrure frêle, elle réussit à se défaire de la poigne du SEAL, qui sourit légèrement, en la voyant tenter de lui donner un coup qu'il esquive. A mesure des semaines, il voit tous les progrès qu'elle peut faire. Et il en est fier. Elle ne le ménage pas, mettant toute sa puissance de frappe dans chaque mouvement.  « Ton torse ce n'est que des muscles, je ne vais pas perdre mes moyens devant comme une adolescente en chaleur, tu sais  ».  Avec force, elle lui assène un coup pour le faire trébucher mais il se contente de tanguer, gardant des appuis solides sur ses pieds. Avec son mètre quatre vingt-dix, il est plus imposant que la majorité de ses partenaires, ce qui pourrait être un inconvénient mais devient souvent un avantage quand il se met en action. Quand il se transforme en un prédateur chassant sa proie. Mercy, il pourrait la protéger comme un oisillon, se montrer plus doux avec elle mais au contraire, il la pousse dans ses retranchements pour qu'elle libère ce qu'elle a en elle. Elle a un potentiel infini, il le voit alors il fait tout pour qu'elle le dévoile à chaque fois un peu plus. Il n'hésite pas à taper, à lui faire mal car il sait que c'est ainsi qu'elle survivra sur le terrain. Les yeux focalisés sur son assaillante, son esprit est déjà à l'affût, à la recherche du prochain coup, de la meilleure stratégie. Il sent des gouttes de sueur couler le long de son visage, mais il est ailleurs, concentré sur sa cible. Elle n'est pas assez sur ses gardes, alors dans une feinte tactique, il en profite pour trouver la parade qui la fait tomber au sol. Sous la violence du choc, son corps émet un bruit sourd quand il rencontre le tapis. « Ce ne sont peut-être que des muscles mais ça marche quand même ». Il s'approche, lui tendant la main pour l'aider à se relever  et tandis qu'il est baissé en position de faiblesse, elle entoure ses pieds autour de sa tête et en profite pour le faire tomber lui aussi. Son corps s'écroule lourdement. Surpris, il la regarde en haussant les sourcils. Sans prêter attention à la proximité entre eux, il se relève, se contentant de la regarder sérieusement, presque avec sévérité. « C'est pas fair play ca et ce n'est pas comme ça que tu éviteras de te faire tuer. Allez on s'y remet Wayland  ». A peine est-elle debout qu'il en oublie tout le reste pour redevenir un combattant sans émotion ni sentiment.

La nuit est tombée depuis longtemps déjà, pourtant le corps de Josh est plus réveillé que jamais. Il le doit, s'il ne veut pas finir avec un bras ou une jambe cassée. Ses yeux observent la pièce autour de lui, la lumière artificielle finissant par l'aveugler. Il sait que s'il se fait prendre ici pendant sa permission, il risque gros mais il ne s'en occupe même pas. Sans ces combats, il ne se sent plus lui-même. Il a cette impression d'être prisonnier de son propre corps, de son propre esprit, qui avec les années, est devenu sombre. Il a besoin d'extérioriser cette colère, qu'il cache en lui, de sentir le bruit de ses coups sur les corps de ses adversaires, d'avoir ses muscles endoloris par la douleur après des minutes à se faire malmener. Debout, concentré sur son objectif, il enfile sa paire de gants juste avant de monter sur le ring. Son regard finit par se porter sur son assaillant, plus grand que lui, plus imposant mais à aucun moment il est inquiet. Alors qu'il prend place au centre du lieu de combat, l'homme face à lui l'observe avec un certain dégoût, comme s'il est un morpion qu'il va écraser avec son pied. « Prêt à finir au tapis le maigrelet ? ». Il a envie de lui rire au nez, mais il se contente d'hausser les épaules avec un faux sourire sur les lèvres. « Qui a dit que j'allais perdre ?  ». Il ne prend pas la peine d'écouter la réponse que déjà il se focalise sur ce qui va suivre. La respiration calme, le cerveau en éveil, il se met à sautiller sur place comme avant chaque bataille. Lorsque enfin le coup de sifflet est donné, il ne perd pas une minute, il entend le brouhaha autour de lui mais déjà il cherche une faille chez son ennemi. Immédiatement, il reçoit un crochet du droit dans la mâchoire, mais il ne le sent pas. Avec les années, il a fini par devenir presque insensible à la douleur. Tel un soldat, il évite les coups les plus douloureux, se laisse être frappé jusqu'à ce que l'autre se fatigue. A mesure que ses muscles sont maltraités, il ne sent plus rien, presque anesthésié. Il frappe sans conviction, attendant le bon moment pour donner le meilleur de lui-même, pour montrer son côté le plus violent. Au bout de plusieurs minutes, la puissance dans les poings du chauve faiblit, il essuie sa lèvre ensanglantée et il comprend que c'est sa chance. Maintenant, c'est à lui de jouer. Il voit dans les yeux de l'autre combattant qu'il pense avoir gagné, sans se douter de ce qui l'attend. Soudainement réveillé, il se prépare à taper. Avec violence, il frappe le visage, sentant la peau de l'autre rencontrer son gant. Le costaud sonné par le choc fait quelques pas en arrière, sans chercher à protéger ses arrières. Alors il profite de ces quelques secondes de vertige pour tout donner, ses coups sont sans pitié, la bête en lui se déchaîne. Il finit par se sentir mieux, par se sentir bien. Dans un dernier effort, le souffle court, il fonce sur le boxeur, le maintenant fermement avant de le soulever sans peine et dans un bruit sourd il le fait s'écrouler au sol.  

Fusil au bras, casque sur les oreilles, il avance doucement et silencieusement pour ne pas se faire remarquer. Tout le reste de son équipe est derrière lui, attendant qu'il confirme la présence de la cible dans le bâtiment. C'est sa tâche. Aujourd'hui, il est le sentinelle qui doit veiller à la survie de tout le monde. Les sens en alerte, il fait attention à chaque son qu'il peut entendre. Même le plus petit bruit peut indiquer la présence de quelqu'un, de cet ennemi qu'ils sont supposés retrouver. Il sait qu'il n'a pas le droit à l'erreur. S'il se trompe c'est la mort qui l'attend. La sienne et celle de tous les hommes derrière lui. Il ne peut pas faire échouer la mission, il n'en a pas le droit.  Son coeur commence à manifester sa présence dans sa cage thoracique mais il continue d'évoluer, sans même éprouver une once de peur. Cela fait bien des années qu'il n'est plus effrayé à l'idée de mourir. Il se souvient de toutes ces fois où des balles l'ont frôlé ou touché. Par le passé, il a déjà failli rejoindre son frère plusieurs fois, mais à chaque fois quelque chose l'a sauvé. Il est ce rescapé dont le corps est recouvert de cicatrices plus ou moins récentes. Il a cessé de les compter. Sa peau est un vestige de guerre, chaque mission a laissé sa trace pour le marquer à vie. Au loin un bruit étrange l'interpelle. C'est comme un son de métal tombant sur le sol. Prudemment, il se rend en direction de la source. Ici, dans ce pays loin des Etats-Unis, l'ennemi est partout. Petit à petit, il sent cette adrénaline qui le rend vivant. Cette excitation il n'y a que sur le terrain qu'il l'éprouve. Enfin il aperçoit le tuyau qui a émis ce son désagréable,  mais il ne s'en approche pas. Avec les années de mission, il a appris à reconnaître les pièges et il sent qu'il y a quelque chose d'anormal.  Ses yeux parcourent l'endroit, et alors qu'il est prêt à repartir, il les voit face à lui. Ses réflexes de soldat prennent le dessus, il tire dans le tas faisant confiance à son entraînement pour viser précisément. Avant qu'il n'ait le temps de le réaliser, on l'attrape par derrière, il se défend, repoussant son assaillant sans difficulté mais déjà il y en a d'autres. Il frappe, esquive les coups autant qu'il le peut. Ils sont beaucoup plus que lui et il ne parvient pas à trouver une issue. Avec la crosse de son fusil, il en assomme un, puis il s'écroule au sol. Une douleur se répand dans son bras. Cette douleur il la connaît trop bien. La main sur la blessure pour la comprimer, il entend des bruits, des voix et des échos de coup, mais il n'a pas la force de se relever. Ses yeux se ferment.