“Do me a favor, doc?"
"Anything, Captain."
"Stop italicizing the word 'Captain' when you say it."

Cillian, avant d’être un ami, ce fut quelqu’un pour qui j’avais du respect et surtout de l’estime. Je l’ai rencontré à Haïti, lors de ma première mission sur le terrain. J’ai eu la chance de pouvoir partir très tôt après mon arrivée à l’hôpital de Redstone pour aller sur le terrain, c’était une mission humanitaire, au niveau de dangerosité proche de 0, donc beaucoup de mes collègues et moi-même avaient été envoyés là-bas pour commencer.
On a échangé quelques mots à ce moment là, pas grand-chose ceci dit. Mais il ne me traitait pas comme le moins que rien venant tout juste d’arriver à qui on n’accordait aucune importance et dont on questionnait continuellement les capacités.  Je l’ai estimé pour cela. Il n’était pas capitaine encore à l’époque, mais ça restait un gradé et ces derniers en général n’étaient clairement pas tous agréables à vivre. Etant infirmier j’avais l’équivalent du grade de sergent-chef voire adjudant-chef mais ça tout le monde s’en foutait, je n’étais pas un soldat après tout.

Mais mon opinion a évolué radicalement lorsque, de retour à Redstone, il m’a sauvé la mise lorsque cette ordure de Campbell n’a rien trouvé de mieux à faire dans ses délires alcoolisés répugnants que d’aller taper du pédé. J’avais bien conscience que des rumeurs courraient sur mon sujet – attendez je n’avais pas baisé Ashley qui me faisait du rentre dedans depuis plusieurs semaines, j’étais forcément gay – mais je n’en avais rien à faire jusque là, ils pouvaient bien dire ce qu’ils voulaient. Le problème, c’est qu’il a commencé à me taper et à m’insulter, du coup, je l’ai provoqué. Inutile de vous dire qu’après ce que je lui avais dit il fut de notoriété publique sur Redstone que j’étais homosexuel, et même si la loi don’t ask don’t tell venait d’être abrogée quelques mois auparavant, ce n’était apparemment pas encore imprimé dans le cerveau de pas mal de gens. Bref, pour en revenir au sujet principal, Cillian est arrivé au moment où j’étais en train de me dire que j’étais vraiment mal barré. Pour le coup, j’avais été réellement soulagé. Je ne sais pas trop comment j’aurais fini s’il n’était pas arrivé. Je l’ai remercié à demi-mots à l’époque car j’avais un peu honte de n’avoir pas su me défendre suffisamment contre cet enfoiré, mais il ne s’en ai pas préoccupé et depuis ce moment là je remarquais que, d’une façon ou d’une autre, il faisait attention à ce qu’on ne me discrimine pas, jamais de façon flagrante cependant – sûrement pour ne pas me mettre dans l’embarras. On avait régulièrement des discussions semblant anodines, et même si je ne lui disais rien je lui étais reconnaissant pour sa prise de position sur mon sujet. Et puis son ami – meilleur ami – Tobias est tombé dans le coma. Et il s’est mis à boire – trop, je veux dire. Je ne savais pas exactement ce qui s’était passé mais j’avais bien réalisé que Cillian – je l’appelais encore Capitaine à l’époque – se tenait responsable pour ce qui s’était passé. Je n’ai pas trop poussé. Je ne voulais pas le braquer – je l’avais vu renvoyer chier plusieurs de ses coéquipiers. Mais je n’aimais pas trop le fait qu’il se laisse aller comme ça, il m’avait toujours donné une impression de droiture et de force, c’était assez désolant comme situation. Je me contentais d’être là, d’une façon ou d’une autre, de façon anodine. Il m’avait soutenu pendant tout ce temps, c’était à mon tour de renvoyer l’ascenseur.
Et puis, le sort fait bien les choses, je me suis retrouvé infirmier dans sa compagnie et nous avons été envoyés en Afghanistan. Ça nous a rapproché plus encore, la guerre et les crises aidant bien sûr, et je crois que c’est à ce moment là que j’ai réalisé que je le voyais désormais comme un ami. Je le vois encore me parler alors que les coups de feux fusaient de tous les côtés et que je me retrouvais subitement tétanisé, incapable d’agir. J’étais sensé y avoir été préparé mais tout était trop chaotique. Je m’en souviens parfaitement. « Duval ! Duval ! Arsène. » J’avais réagi à l’entente de mon prénom, il avait posé ses deux mains sur mes épaules et il avait plongé son regard dans le mien. « Il faut bouger. On a besoin de vous, doc. » J’avais alors repris totalement mes esprits et l’avait suivi, fixant mon regard sur sa silhouette.

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