Un cri vaut un coup. Son pied part machinalement pour se ficher dans le bois. La porte craque, elle ne cède pas, même quand il balance une seconde fois sa semelle. Sa main gauche fait échos à sa chaussure. Il cogne la paroi encore et encore, même quand les hurlements s’estompent pour s’évanouir ensuite. Ils ne s’arrêtent jamais tout à fait. La douleur ne conserve jamais sa  voix mais elle se multiplie dans le silence. Il recule jusqu’à toucher le mur du fond, fonce ensuite et se heurte à la plaque. Il recommence jusqu’à tomber, jusqu’à se relever, jusqu’à ce qu’on vienne le chercher. La pénombre se dissipe mais la lumière l’aveugle. On agrippe le col de son t-shirt pour le traîner jusqu’au salon. Richard est un peu plus loin, roulé en boule. Une cascade de cheveux recouvre son visage. Elle a un bras recroquevillé sur sa petite chose ensanglantée. Elle ne le protège de rien pourtant, elle ne recolle même pas les morceaux. Elle s’apitoie. Il la déteste de tout son être. Seth se débat quand Il le force à s’agenouiller. Mais le garçon se penche, atteint le verre sur la table basse et s’apprête à l’éclater sur son crâne. Son bourreau a de plus grandes mains, elles sont énormes en comparaison aux siennes. Elles font la taille de son visage. Il l’arrête, lui attrape le  poignet, le retourne et ses phalanges trouvent sans mal le chemin de sa joue. C’est son tour. Il serre la mâchoire, il ferme les yeux. Il encaisse. Un cri vaut un coup. Alors il se tait. Il rêve. Il est ailleurs. Loin, hors de portée. Quand il ouvre les paupières, elle pleure encore sur l’épaule de Richard. Son tout petit bébé. Le récipient n’est toujours pas loin. Il suffirait de tendre la main, de le prendre et de l’enfoncer dans sa sale tête. Elle est shootée, elle ne bougera même pas. Et elle le mérite. Elle le mérite vraiment. Mais lui, il n’a pas le cran.


Les flammes dansent dans sa rétine. Il a peur. Il veut rejoindre Richard mais on l’arrête. Pourquoi ? C’est sa maison pourtant. Son père va arriver. Il secoue la tête. Non, il ne veut pas le voir, lui. Pourquoi n’est-il pas à l’intérieur d’ailleurs ? On le tire, on l’emmène. On l’assoit et on lui explique. Il ne comprend pas. On lui pose des questions, il réclame son petit frère. Ça dure toute la nuit. Au petit matin, on l’examine sous toutes les coutures. Une infirmière lui demande de lui expliquer chacune de ses cicatrices. Il commence par ses bras  « Je me débats souvent, ça lui plait pas. », continue avec sa nuque « Il trouve ça drôle quand Il ne trouve pas de cendrier. », poursuit avec son buste « Il aime pas quand on parle », les jambes « J’ai essayé de m’enfuir, les barbelés ont pas voulu. » Et puis, le dos « Ça c’est quand on n’obéit pas, ça c’est quand on respire, ça c’est parce qu’il nous aime pas et qu’il nous a jamais voulu. » Il ne revoit jamais son père dans les jours qui suivent. Ni Richard. Son petit frère est parti. Parti où ? L’incendie l’a emporté avec sa mère. C’est elle qui a décidé pour lui. Elle l’a sûrement serré contre elle après avoir foutu le feu à la baraque. Elle a décidé pour lui. Il la hait encore plus.


On lui présente un couple. Son nouveau papa et sa nouvelle maman. Il ne demande pas après son vrai père. Il l’imagine mort. Ses nouveaux parents se montrent patients et aimables mais il se méfie. Surtout de Lui. Il ne veut pas qu’il l’approche. Il s’enfuit souvent. Il se cache, les laisse chercher, il trouve ça amusant mais il arrête après quelques mois. A l’école, on leur dit qu’il a accumulé beaucoup de retard. Alors il double. Il triple et il avance difficilement ensuite. Il n’aime pas les études et ça se confirme. Son esprit divague, sa concentration est relative. Alors sa nouvelle famille redouble d’effort pour le faire travailler. Il fait tout l’inverse. Il ne veut pas qu’on s’occupe de lui. Il ne comprend même pas pourquoi ils font ça. D'ailleurs quand elle tombe enceinte, il est certain que tout ça, c'est déjà terminé. Alors on va l’abandonner, non ? Il empaquette ses vêtements, prépare son sac, prêt à décoller. Mais sa nouvelle maman l'intercepte. Elle pleure quand il lui explique ses intentions, la cause. Il ne supporte pas ça. Il s’emporte, il est odieux. Mais il reste. Parce qu’il n’a nulle part où aller. Et parce qu'il porte leur nom maintenant de toute façon.


Il n’est pas à sa place. Il est l’intrus sur les portraits de famille. Ce n’est pas qu’il ne les aime pas. C’est qu’il n’a rien à faire là. Il part dès qu’il est en âge de le faire mais ne les oublie pas. Chacun d’entre eux compte. Siam, un peu plus. Peut-être parce qu’elle est la petite dernière, la plus fragile à ses yeux. Peut-être qu’elle lui rappelle Richard. Il n’en sait rien. Il part à la dérive, il déconne. Il fréquente les mauvaises personnes aux plus mauvais moments.  Mais il ne dit rien à personne. Il s’immerge dans les ennuis, les dettes, l’alcool. Ses petits boulots oscillent entre le tout à fait légal à son contraire. Serveur, dealer, vendeur, escroc. Il fait des vagues. Il finit quelques fois en garde à vue pour des bagarres sordides, pour des histoires louches. Il s’en sort toujours. Donc, ce n’est pas important. Tant qu’il peut garder ça pour lui. Les autres n’ont pas besoin de savoir. Il joue son rôle de grand frère comme il peut, loin de ses conneries. C’est à peu près tout ce qu’il lui reste pour garder la tête hors de l’eau. Siam rejoint l’armée. Et le vide se creuse un peu plus entre lui et le monde. C’est à cette époque qu’il fait sa connaissance.


Blonde, ravagée et volage, elle s’appelle Helena. Ils se rencontrent au milieu de leur chaos respectif. Ce n’est qu’une histoire de sexe au début. Une parmi tant d’autre. Mais elle revient et il la cherche quand elle disparait. Ils jouent un jeu dangereux. Sans trop savoir comment, elle se met à vivre chez lui à temps partiel et puis, complet. Parfois, elle se tire sans revenir pendant plusieurs jours. Parfois, ils se crient dessus. Parfois, elle en vient aux mains et il doit alors se casser avant de lui rendre ses coups. C’est violent, c’est incomplet. Ça ressemble à peu près à ce qu’il a connu avant. C’est familier, ça lui parle. Elle est folle, elle est agressive et elle est désespérée. Ils se ressemblent. Ils se méritent. Il n’y a rien de plus à dire.

Un soir, il lui dit d’aller se faire foutre. Il est trop bourré pour modérer le moindre mot. Elle est trop shootée pour réagir comme quelqu’un de normal. Elle se jette sur lui, lui lacère le visage de ses ongles. Il la repousse brutalement mais elle s’agrippe à ses chevilles pour le déstabiliser. Il titube. Elle continue en y mettant toute sa force  avant de s’emparer de la ceinture qu’il a laissé traîner sur le fauteuil. Elle lui fiche un seul et unique coup dans le dos. Seth ne se rappelle de rien ensuite. Quand il revient  à lui, elle est à terre, la pommette fracassée et lui, le poing encore en l’air. Il recule, terrorisé. Il s’excuse. Elle lui crache à la figure. Il se casse. Il ne la revoit plus jamais après ça. Elle repart avec ses affaires, elle lui pique quelques-unes des siennes. Et c'est terminé. Il ignore qu’elle porte leur enfant. Il ignore qu’elle lui donne naissance. Il ignore qu’une gamine de quatre ans se balade quelque part avec ses yeux et son sale caractère.

A partir de là, il remonte la pente  comme il peut, refusant de devenir ce que son père a pu être. Il réussit à se débrouiller pour trouver une formation, devenir autre chose que le petit merdeux qu’il a choisi d’être jusque-là. Avec un job stable, un salaire correct, il croit qu’il va pouvoir se remettre sur les bons rails. Mais un vice en appelle toujours un autre. Il parie sur tout, sur n’importe quoi. Il se fait ponctuellement détrousser du peu de ce qu’il se possède aux jeux de hasard ou au poker dans les mauvais quartiers. Des dettes, il en a à la pelle. Il n’a jamais pu briller par sa chance, il ne sait pas pourquoi il pense parfois que ça peut changer. Siam finit par rentrer, un peu la même mais très différente pourtant. Il en a fait sa cause. Il refuse de la voir sombrer dans sa dépression, de la regarder se perdre. Il refuse qu’elle ressemble à Helena ou pire encore, à sa foutue génitrice. Alors il l’emmerde régulièrement, il ne la lâche pas et ne compte pas la lâcher. Elle, elle a toutes les raisons de s’en sortir. Et il va tout faire pour y parvenir même si ça implique des disputes et des cris. De toute façon, un cri, ça ne vaut plus un coup maintenant. Alors ils peuvent s'époumoner et prétendre se détester. Siam, c'est son cap qu'elle le veuille ou non.