6 mois auparavant.

Il était déjà plus de dix huit heures mais quelques rayons de soleil encore présents venaient éclairer et réchauffer la pièce dans laquelle se trouvait Andrew Livingston. Assis sur le sofa de la petite maison qu’il occupait depuis presque trois ans avec sa fiancée Eileen, le jeune homme relisait en souriant la lettre de sa charmante compagne qu’il avait reçue le matin même. Elle lui annonçait dans celle-ci qu’elle espérait être de retour auprès de lui dans peu de temps, qu’il lui manquait et qu’elle l’aimait plus que tout. En effet, cela faisait maintenant cinq mois qu’il n’avait plus revu la souriante et pétillante adjudant chef de vingt-sept ans avec qui il partageait sa vie depuis presque sept ans. Durant ces longs mois, il n’avait eu que très peu de nouvelles d’elle, simplement quelques courts appels et deux lettres qui n’avaient pas comblé le manque que l’absence d’Eileen pouvait provoquer. Engagée dans l’armée, elle avait été envoyée en mission « secrète » au Moyen Orient avec d’autres soldats américains et il ne savait que peu de choses sur celle-ci à part que la tâche, qui lui était confiée, était délicate et très risquée ce qui ne rassurait pas du tout Andrew. Chaque jour, son angoisse montait et le stress amplifiait, il ne cessait jamais de s’inquiéter pour la militaire. Il connaissait les risques du métier, il avait connu Eileen juste avant qu’elle décide de rejoindre l’armée et il avait pourtant accepté de rester avec elle par amour. Il n’était pourtant pas patriote, loin de là, sa vraie nation restait l’Angleterre. Venu  aux Etats-Unis pour poursuivre ses études à l’université, il n’en était plus jamais reparti, la rencontre avec Eileen, l’amour de sa vie, avait suffi à le convaincre. Elle était la personne la plus importante à ses yeux, le seul être humain indispensable à son existence. Ils avaient évolué et mûri ensemble et cela faisait maintenant un an qu’ils avaient décidé de rendre les choses plus officielles. Andrew avait fait sa demande de la manière la plus spontanée qu’il puisse exister. Il n’avait pas eu besoin de long discours ou d’une longue sérénade, Eileen savait parfaitement depuis le début les sentiments qu’il éprouvait pour elle, il voulait simplement concrétiser leur amour. Mettre un mot sur leur union. Une semaine avant son départ, la jeune femme lui avait annoncé qu’elle souhaitait l’épouser dès son retour, ce qui rendait le bibliothécaire encore plus impatient. 

La sonnette de la porte finit par sortir Andrew de ses pensées, il se dirigea vers l’entrée de la maison et se retrouva devant Mercy Wayland, une amie de longue date de Eileen Panell, qu’il avait eu l’occasion de rencontrer de nombreuses fois et qu’il trouvait très agréable. « Bonjour Mercy » dit-il en souriant, heureux de voir quelqu’un qu’il connaissait. La lieutenant avait le visage fermé et le regard sévère ce qui interloqua Andrew. « Bonjour Andrew » répondit-elle rapidement. Il la fit rentrer dans la maison et lui proposa un café, qu’elle refusa presque automatiquement. « Andrew, je ne suis pas là pour ça, on doit parler » déclara-t-elle sévèrement. Le regard de la militaire se perdit dans le vide, tandis que le jeune homme la fixait presque déconcerté. « Oui que se passe-t-il ?» demanda-t-il perdu. « J’ai quelque chose à t’annoncer…. Ce n’est pas facile et je ne sais pas vraiment par où commencer…. » Dit-elle en hésitant sur chaque mot et en regardant le sol. « Tu me fais peur…. Quelque chose est arrivée à Eileen ? ». Il comprit rapidement que quelque chose n’allait pas et que c’était mauvais signe. Ses bras se mirent à frissonner, son cœur battait la chamade comme après son jogging quotidien. « Il y a eu un problème avec sa mission….  Quelque chose s’est mal passé. La NAVY a été envoyée pour les aider et les extraire. Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard, la situation était déjà trop compliquée et nous n’avons pas pu tous les sauver. J’ai fait tout ce que je pouvais pour ramener Eileen, mais c’était trop tard…. Elle est morte… Je suis désolée Andrew, je suis sincèrement désolée. » narra-t-elle en le fixant tristement. « Je… ce n'est pas possible… Tu te trompes c’est forcé…. J’ai reçu une lettre d’elle ce matin…  ». La voix d’Andrew se perdait, chaque mot sortait de sa bouche au ralenti, tandis que ses yeux s’agrandissaient de stupeur. Il était en train d’avoir la conversation qu’il redoutait depuis l’entrée d’Eileen dans l’armée. Il ne voulait pas croire ce que Mercy lui racontait. Tout cela ne pouvait pas être vrai, il le savait pertinemment.  Il l’aurait senti si quelque chose s’était mal passé pour sa fiancée. « J’aimerais que ce soit faux Andrew crois-moi mais ce n’est pas le cas. Je tenais à te l’annoncer moi-même car l’armée américaine n’assumera jamais sa faute et ne te dira jamais la vérité…. La version officielle dans cette histoire restera qu’Eileen est portée disparue après avoir déserté… Je voulais que tu saches ce qui s’est réellement passé… après tout ce temps, tu le mérites. Je suis tellement désolée…. Je voulais la sauver, vraiment.. mais je n’ai pas pu ». A chaque mot prononcé par Mercy, la tristesse d’Andrew s’amplifiait et son désespoir grandissait. La souffrance envahissait tout son être, chaque cellule de son corps criait de douleur. Sa gorge se noua, il n’arrivait presque plus à respirer, ses yeux quant à eux s’humidifiaient de plus en plus. Il ne pouvait rien faire, son corps était meurtri, la souffrance était telle qu’il avait la sensation de s’être fait percuter par un poids lourd. Le jeune anglais était perdu et confus, Mercy s’approcha doucement de lui le regard rempli de peine et le prit dans ses bras. Le cœur lourd, il s’effondra de douleur. Une simple conversation venait de changer toute sa vie, il l’avait perdu et jamais il ne la reverrait. Elle était tout simplement partie. Pour toujours.

La vie continuait sur la base et pour Andrew aussi malgré l’annonce qui avait bouleversé sa vie il y a presque six mois. La souffrance était immense, un trou béant remplissait son cœur à chaque instant. Il n’arrivait pas à exprimer la douleur qui l’envahissait entièrement. Il avait mis énormément de temps avant de réaliser qu’Eileen avait disparu, qu’elle était morte. Le métier de sa fiancée l’avait obligé de nombreuses fois à partir pour plusieurs semaines voire plusieurs mois, il avait été habitué à ne pas la voir, à rester seul mais pas de façon définitive. Tout avait changé pour lui depuis l’annonce de la mort d’Eileen. La version officielle de l’armée n’avait pas tardé à ressortir, le jeune anglais avait alors subi les regards incrédules des gens et avait été obligé de déménager hors de la base. Peu de personnes étaient au courant de la version officieuse, Eileen et les autres soldats morts avaient simplement été reconnus comme des déserteurs et déclarés disparus. Tous les autres militaires impliqués dans cette affaire avaient eu pour mot d’ordre de ne rien dévoiler, Andrew avait pourtant essayé d’obtenir des réponses, mais en vain. A chaque tentative, il se retrouvait face à un mur, c’était un combat qu’il ne pouvait pas gagner, il avait fini par le comprendre. Depuis six mois, le jeune homme vouait une haine sans faille envers cette institution qui avait tué sa fiancée, il leur en voulait. C’était eux les coupables dans toute cette histoire. Toute la tristesse et la rancœur qu’il accumulait depuis tout ce temps lui faisait du mal. Malgré tout, il avait décidé de ne pas partir, de rester dans cette ville dans laquelle il avait énormément de souvenirs avec Eileen. Il ne voulait pas l’oublier, il ne désirait pas voir disparaître tous les bons moments passés en sa compagnie. L’amour de sa vie était partie sans qu’il puisse lui dire au revoir. Cet évènement tragique avait profondément changé le bibliothécaire, il s’était renfermé sur lui-même et ne parlait presque plus aux autres, passant presque tout son temps seul. Son travail était la seule chose qui lui apportait un peu de joie dans cet horizon rempli de nuages gris et menaçants. Que pouvait-il faire après tout ? Peu de personnes savait la vérité, la majorité des personnes dans cette ville se retrouvaient dans un univers bercé d’illusions et de mensonges, essayant de convaincre Andrew que la disparition d’Eileen ne signifiait pas qu’elle était morte. Ils se trompaient. Lui il savait que tout était faux, que l’optimisme n’était pas de rigueur dans son cas, que le soleil ne pouvait pas illuminer son cœur avant bien longtemps. Il essayait de se dire qu’il devait avancer pour faire son deuil mais il n’y parvenait pas. Sa main gauche arborait toujours « l’alliance » qu’Eileen lui avait offerte avant son départ. La jeune femme avait en effet décidé de montrer aux yeux du monde que l’anglais qui partageait sa vie n’était pas seulement un compagnon, mais qu’il allait devenir un mari. Le sien. Elle lui avait dit en souriant que cela allait lui éviter les tentatives de séduction durant ses absences répétées. Remarque qui avait eu l'effet d'une blague sur Andrew qui n'avait pas pu se contenir et qui avait alors émis un petit rire. Ses doigts parcouraient machinalement cet anneau, symbole de leur bonheur éphémère mais pourtant bien présent. Il ne pouvait pas, il ne voulait pas oublier l’amour de sa vie. Elle avait fait partie intégrante de sa vie pendant six ans et du jour au lendemain il s’était retrouvé sans elle. Elle était sa confidente, sa meilleure amie, sa fiancée et la seule personne capable de comprendre chaque sentiment qu’il pouvait éprouver, le seul être qui avait su discerner chaque parcelle de son caractère. Son sourire malicieux, ses yeux verts émeraude, sa grâce naturelle et ses longs cheveux bruns avaient disparu. A jamais.