«The true soldier fights not because he hates what is in front of him, but because he loves what is behind him.»
― G.K. Chestertony

The Complicated one

StoneRed bar, Quartier Madison, Huntsville, Alabama, 14/04/11, 23:32.
3 jours avant mon départ.

Mon habit armani contrastait un peu avec le décor de l'endroit, un bar banal. J'avais retiré mon veston, remonter les manches de ma chemise et désseré ma cravate. Il y avait si longtemps que je n'avais pas mis les pieds dans ce bar, mais j'avais étrangement l'impression de rentrer à maison... Tout avait commencé ici-même. Comment une rencontre dans de si tristes circonstances, les funérailles de ton frère, a-t-elle pu se transformer en l'un de mes plus beaux souvenirs, je me le demande encore. Tu m'as tout de suite plu, avec tes réponses directes et ton rire contagieux. Je me suis immédiatement senti en confiance avec toi, ce qui est plutôt rare chez moi. Avec toi, j'avais l'impression que, pour une fois dans ma vie, je pouvais être moi-même. Cette époque me semblait terriblement lointaine. Même si je savais qu'il n'y avait aucune chance que notre relation redevienne ce qu'elle avait un jour été, j'étais incapable de te sortir de ma fête. Alors je sortis mon portable de la poche de mon veston et je composai ton numéro de téléphone. «Réponds s'il te plaît...» Je savais qu'il y avait de bonnes chances que tu ignores cet appel en voyant apparaître mon nom sur l'afficheur de ton téléphone. Mais à ma grande surprise, j'entendis ta voix au bout du fil «Allo?». L'estomac tout à l'envers, je cherchais les bons mots. «J'ai besoin de te voir», lâchai-je tout simplement. La simple vérité. Tu étais une des rares personnes à qui j'offrais vraiment le fond de mes pensées, la plupart du temps. Je retins mon souffle en écoutant ton long silence. «Où es-tu?» Un sourire s'étira sur mes lèvres. «Je t'attends là où on s'est vu pour la première fois.» J'éteignis mon portable et le posai sur le bar, près des deux verres de gin que j'avais bu avant de rassembler assez de courage pour t'appeler.

Tu débarquas trois gin tonic plus tard, les cheveux ébouriffés par la mauvaise température, très légèrement maquillée, habillée sobrement. Tu ne contrastais pas du tout avec le décor, simplement parce que tu es magnifique en permanence, peu importe l'heure ou l'endroit. Tu t'installas sur le banc voisin. «Tu es saoul?», fis-tu avec ton petit air sérieux, après m'avoir observé pendant quelques secondes. «Tu es si perspicace... Je peux rentrer à quatre pattes à quatre du matin et ma femme ne se doute de rien, mais toi...» fis-je en riant idiotement. Tu roulas les yeux au ciel et te relevas brusquemment. Je cessai de rire et posai la main sur ton bras. «Reste, s'il te plaît... Je suis désolé». Tu repoussas ma main en soupirant. «Qu'est-ce que tu me veux Charles?»

«Je voulais seulement te voir, une dernière fois, avant de partir...C'est idiot, je sais. On ne sait pas parlé depuis des mois. Mais je ne pouvais pas m'en aller sans te dire adieu.» Tes traits s'adoucirent. Je ne sais pas si c'était mes yeux embrouillés par l'alcool qui me faisaient défaut, mais je crois même que tu laissas échapper un sourire. Tu fis signe au barman de nous apporter deux verres et tu repris ta place. Et c'était comme si rien n'avait changé. Nous discutions comme des vieux amis qui ne se sont pas vu depuis des lustres... Ce qui était bien notre cas, même si notre histoire était beaucoup plus compliquée.

À un certain moment dans la soirée, tu me questionnas sur ma fille. Mon visage s'illumina du coup, et je t'en parlai avec émerveillement. Puis, soudainement, mon visage s'assombri et j'osai te dire tout haut ce que je redoutais le plus. «J'ai peur qu'elle m'oublie...». Ta main vint se poser sur la mienne en guise de réconfort. Encore une fois, c'est comme si tu avais tout compris d'un coup. «Vous allez revenir Charlie, et tout va être comme avant». Ta voix était chancelante. Je savais que tu tentais de te réconforter toi autant que moi avec cette phrase. En utilisant le "vous", tu faisais référence à ton mari et à mon frère d'arme pour la première fois depuis le début de la soirée.

Je me souviendrai toujours de nos adieux, cette soirée-là. Mon dernier souvenir de toi. Je me le suis rejoué un nombre infini de fois, alors que j'étais détenu en Irak. Nous sommes sorti du bar, j'ai sorti une cigarette, tu m'as jeté le même regard découragé que tu me jettes à chaque fois que je fume devant toi. Je l'ai remise dans le paquet et tu as souris. Je t'ai raccompagné jusqu'à ta voiture. Tu m'as offert de me raccompagner jusqu'à chez moi, mais j'ai insisté pour marcher. Nous sommes resté là un moment, à se regarder bêtement, ni l'un ni l'autre ne sachant trop quoi dire. Tu as finalement fait le premier pas et tu m'as pris dans tes bras. J'ai plongé le visage dans ton cou et, les yeux fermés, je me suis permis pendant un court instant d'imaginer que c'est moi que tu attendrais impatiemment pendant les prochains mois. Alors que je me croyais presque, tu murmura à mon oreille : «Jures-moi que tu prendras soin de Cameron».

The Wife

Aéroport militaire de Redstone, Alabama, 04/01/13, 14:16.
Journée de mon retour.

Deux ans plus tôt, à cet endroit exact, tu avais embrassé mes lèvres pour la dernière fois. Combien de fois avais-tu rejoué dans ta tête ce baiser depuis ? Dans tes nuits de solitude, alors que tu perdais l'espoir de me revoir un jour, tu t'accrochais à ce moment comme à une bouée.

Aujourd'hui, tu regardais un homme descendre de l'avion militaire. Il portait le même uniforme, la même insigne que deux ans auparavant. Ses bottes étaient cirées, son visage fraichement rasé. Son chapeau était bien droit, ses cheveux taillés au centimètre près. Mais alors qu'il marchait en ta direction, même si son pas et sa posture étaient dignes des plus grands défilés militaires, tu compris tout de suite que cet homme n'était pas le même que celui que tu avais embrassé deux ans plus tôt. Plus j'approchais, et plus tu le réalisais. Mon uniforme était beaucoup trop grand pour mon corps amaigri et tellement affaibli que j'en tremblais en permanence. Si je marchais si droit, c'était parce que l'officier qui m'accompagnait me soutenait. Mes joues étaient creuses, mes yeux cernés, mes traits tirés.

Lorsque je fus finalement à quelques pas de toi, je m'arrêtai. Nos regards se croisèrent pour la première fois. Tu étais exactement la même que deux ans plus tôt, à cet endroit exact. Comme si le temps s'était arrêté de ton côté du globe, alors qu'il filait à toute vitesse du mien. Tu franchis finalement la distance qui nous séparait. Je t'en remercie, parce que je ne crois pas que j'aurais eu le courage de le faire. Tu posas ta main sur mon visage et le caressas. Je fermai les yeux un instant. Il y avait si longtemps que ne m'avait pas touché avec tendresse, avec amour. Tu t'étiras sur la pointe des pieds, pour que ton visage soit à la hauteur du mien, et tu posas tes lèvres sur les miennes. Comme pour vérifier si cela rendait justice à tes souvenirs. Lorsque tu éloignas ta bouche de la mienne, je lu tout de suite dans tes yeux que tu savais. Ton mari que tu as espéré si longuement, il ne reviendra pas. Une grande partie de lui s'est éteinte, là-bas. Moi, je n'en suis qu'une faible copie.

The Daughter

Maison des Cooper, Quartier Madison, Huntsville, Alabama, 08/01/13, 03:56.
4 jours après mon retour.

Ta maman t'avais dit que j'avais besoin de me reposer. Je n'avais pas bougé depuis plusieurs jours. Je ne savais plus si c'était le jour ou la nuit. J'entendis la porte de la chambre s'entrouvrir et tes petits pas feutrés avancer lentement sur le carrelage. Tu t'avanças jusqu'à être à ma hauteur. Dans tes grands yeux gris, j'ai tout de suite vu la peur. Pendant un instant, j'ai craint que tu avais peur de moi. Après tout, je ne devais pas être très beau à voir. Ma barbe de quelques jours, mes yeux cernés, mon corps meurtri. Mais tu a pris ma main et tu as murmuré, de ta petite voix mielleuse: «Papa, j'ai fait un cauchemar». Tu ne peux pas comprendre, mais, à mes yeux, c'était les mots les plus réconfortants que j'avais entendu depuis un sacré bout de temps. Je tendis le bras vers toi et je t'attirai sous les draps. Tu te blottis contre mon torse, malgré la grosse cicatrice qui le traversait d'un bord à l'autre. Je fis de mon mieux pour te réconforter avec mes bras forts, parce que les mots, je ne les trouvais pas. Comment te faire comprendre que les monstres de tes mauvais rêves ne te ferait pas de mal, quand moi-même je n'arrivais pas à fermer l'oeil depuis mon retour, par peur d'être confronter à mes propres vilains? «J'ai rêvé que tu repartais». Ta petite voix brisa ce qui restait de mon coeur en milles morceaux. Je pris ton visage entre mes mains pour que tu regardes mes yeux qui, malgré moi, baignaient dans l'eau. «Je ne te quitterai plus jamais ma princesse. Je te le promets.»